Conte. Le fady de l’anguille

Légendes et contes populaires malgache ayant trait à la vie dans les eaux, aux poissons et à la pêche
Raha tsy marina izany, tsy izaho no mavandy fa Rantaloha : « Si ce que je dis n'est pas vrai, ce n'est pas moi le menteur, mais les vieillards d'autrefois », ainsi s'exprimaient les vieux Mpitantara, ces conteurs de légendes, équivalents des troubadours du Moyen Age en Europe, devant leur auditoire toujours assoiffé de neuf et de vieux.
Et nous résumerons, ici, à titre d'exemples, quelques légendes recueillies çà et là au milieu de nos propres lectures et auprès de certains vieux pêcheurs. Elles témoigneront de l'Imagination poétique des populations de brousse et nous ferons vivre quelques heures dans ce milieu féerique où évoluent, d'une part, nymphes des eaux, esprits, fées, génie des ondes ... et, d'autre part, nos simples pêcheurs et leurs captures:
Le fady de l'anguille chez les Zafinatoandro
Un jour, un homme pêcha une énorme anguille qui se transforma immédiatement en une femme d'une grande beauté. Il l'épousa et eut d'elle de nombreux enfants. Mais à la suite d'une violente querelle, elle retourna à la rivière et reprit son état primitif. C'est depuis ce temps-là que le clan des Zafinatoandro s'abstient de pêcher et de manger des anguilles qui descendent, comme eux d'une-mère commune.
R. Decary. La Faune Malgache

Le fady de l’anguille
Les enfants qui apprennent l’écriture arabe la lecture des Sora-Be, livres sacrés des malgaches du Sud-est, doivent s’abstenir de manger certaines espèces de poisson et de l’anguille.
Parmi les animaux qui sont sacrés pour certaines familles malgaches, Crémazy, qui obtint surtout des renseignements sur les Betsimisaraka, les Antimerina et les Sakalava du Nord cite l(anguille.
Beaucoup de Betsimisaraka, surtout des tribus méridionales, ne veulent pas toucher à une anguille ni en pêcher ; cette interdiction règne notamment chez le clan de betsimisaraka des Zafindravaratra qui l’expliquent par la légende suivante : « Des pêcheurs prirent un jour une grosse anguille. Ils convoquèrent tous leurs parents pour la manger. Quand elle fut cuite, chacun en mangea,. Deux seulement s’en abstinrent. Pendant la nuit tous ceux qui avaient mangé de l’anguille moururent. Les deux individus qui s’étaient abstenus furent seuls préservés de la mort. Leurs descendant portent le nom de Zafindravaratra (c’est-à-dire : descendant du tonerre) et habitent Marosiky (au sud de Tamatave) ».
On trouve également ce même tabou dans le Sud-est de l’île. « L’anguille, (en betsimisaraka tona et en antaimorona kotratra) est fady ou tabou pour la plupart des tribus côtières du Sud-est de l’île ». Et chez les Zafindraminia on trouve la légende explicative suivante : « Lorsque Raminia fut retourné à la Mekke, on lui donna des terres à Mandenas (Médine ?) mais ayant mangé une grosse anguille (tona) il mourut. C’est pour cette raison que ses descendant ne mangent pas d’anguille ».
L’anguille est fady pour une certaine ville du Betsileo : « Un jour, une femme noble (andriana), la femme de mon informateur, prit une anguille dans le voisinage, l’apporta sans y penser dans la ville et la fit cuire : les indigènes jetèrent la marmite, et toutes les cuillers, assiettes, etc… qui avainet été en contact avec l’anguille ».
Dans l’Imerina on nomme tona , « une anguille énorme dont la chair est succulente mais qu’on ne mange pas par respect, parce qu’on la regarde comme la demeure des ancêtres ».
La même croyance existe chez les Betsileo : « Après la mort, les âmes du petit peuple vont se loger dans le lona, sorte d’anguille… quand le décès a été bien constaté, on ouvre le cadavre du défunt, on en retire tous les viscères et on les jette dans le lac sacré ; l’anguille qui en goûte devient le domicile de l’âme quelle avale avec la première bouchée. Il va s’en dire que le Betsileo se garde bien de manger cette anguille ». J-H Haile spécifie cependant que si le serpent est fady pour tous les Betsileo, il n’en est pas de même pour l’anguille.
Chez les Antimerina, il était fady de se servir d’huile d’anguille pour se graisser les cheveux parce que cela rendait chauve.
Dans la rivière Bealanana, en pays sakalava « il y a de grosses anguilles appelées malo, de 15 à 20 cm, de diamètre et de 1 m 50 à 2 m. de long qui ont derrière la tête deux nageoires ; lorsque celles-ci sont dressées , elles ressemblent tout à fait à des oreilles ». De là viendraient ces descriptions de « serpents à oreilles qui seraient de la taille d’un homme et dévoreraient les bœufs qui viennent se désaltérer à la rivière… les habitants ont des malo une peur égale à celle qu’ils ont des kavay (chiens sauvages) et des caïmans ; ils n’en mangent pas ; pour eux elles sont fady , c’est-à-dire défendues ». On en trouve que dans cette seule rivière.
Tabou et Totémisme à Madagascar
Arnold Van Gennep