Notes du passé: Conflit entre « fihavanana » et la constitution du capital

Publié le par Alain GYRE

Conflit entre « fihavanana » et la constitution du capital

11.04.2016 Notes du passé

Notes du passé: Conflit entre « fihavanana » et la constitution du capital

Jusqu’à aujourd’hui, la société rurale témoigne, dans différentes régions de l’ile, d’une grande cohésion. D’après certains sociologues, ce système d’organisation sociale prend naissance dans un état d’insécurité généralisée, résultat de la pauvreté du sol, des caprices du climat tropical, du faible niveau des techniques, et ces dernières décennies des razzias meurtrières des dahalo.

« Dans ces conditions, il était impossible à un individu isolé d’assurer régulièrement, par ses propres moyens, sa subsistance », assure Jacques Dez en 1970, qui poursuit : « C’est ce qui explique pourquoi, dans le système répressif traditionnel des communautés familiales ou villageoises, la plus grave des sanctions n’était pas la mort (qu’on n’infligeait que dans certaines circonstances rituelles déterminées à l’égard des sorciers), mais l’exil, le rejet du groupe, qui pouvait équivaloir à une condamnation à mort différée. »

Ainsi, une personne ne peut survivre que dans un groupe et grâce au soutien de la communauté. D’où le caractère particulier revêtu par les modes d’entraide, dans le monde rural. Et ce, bien qu’ils tendent à disparaitre devant l’extension du salariat et la différence des niveaux ruraux ou entre les situations économiques des différents membres de la communauté.

À l’époque actuelle, « ceux qui pourraient se passer de l’assistance du groupe, éprouvent comme une charge injustifiée, la nécessité de contribuer au soutien des autres. Ces derniers ressentent à leur égard une jalousie qui peut les pousser à des actions inamicales dans toute la mesure où ils ne consentent pas à se dépouiller en leur faveur de leur capital, de ce qui fait leur supériorité… »

Jacques Dez revient alors sur les règles d’assistance réciproque, ces règles de solidarité qui sont désignées par des termes spécifiques, « fihavanana » sur les Hautes terres et dans l’Est, « filongoa » dans l’Ouest et le Sud. « Leur essence est partout la même. » L’existence de ce mode de relation qui qualifie les liens de parenté, implique la permanence d’un service de prestations réciproques dans le domaine, non seulement de l’assistance matérielle et de l’entraide, mais aussi dans celui « de l’assistance personnelle, requérant une présence effective auprès de l’assisté dans tous les cas prévus par la tradition et encore dans le domaine de l’assistance, à l’aide de conseils judicieusement et opportunément donnés ». Tout membre de la communauté peut compter sur cette assistance le jour où il en aura besoin.

En revanche, celui qui tentera de se dérober à son devoir, sera rejeté. Autrefois, on l’exile. Ces dernières décennies, il fera l’objet d’une quarantaine pour le moins, et pourra encourir des brimades graves, voire souffrir de mauvais procédés délibérés qui tendraient à lui rendre la vie intenable.

À l’origine, « fihavanana » ou « filongoa » désignent les relations de parenté. Par extension, ces mots désignent également le lien qui unit des personnes non parentes lorsqu’il affecte la même nature. Notamment, « fihavanana » désigne le lien unissant les habitants d’un même village, le « fokonolona » sur les Hautes terres et dans les régions où cette institution est effective.

Ceux qui composent les communautés rurales ont tous des rôles sociaux à jouer, mais l’observation des règles du « fihavanana », dont dépend la survie des groupes, est primordiale. Il en résulte que les rôles qui mettent en œuvre ces règles sont valorisés de préférence à tout autre. Ce sont des rôles familiaux et des rôles villageois et ceux qui s’en acquittent, sont aussi mieux considérés.

Ainsi s’explique la particularité des contacts entre les paysans et les agents d’encadrement, formés à une conception différente des rôles sociaux dans la perspective du développement de type européen (rôles techniques, professionnels…).

Le paysan attend de l’encadreur qu’il témoigne, par son attitude, par son approche, par son comportement, de sa capacité à satisfaire aux exigences du « fihavanana ». « La compétence technique de cet agent lui importe peu. Pour pouvoir être efficace, celui-ci doit d’abord se faire recevoir dans le groupe sur lequel il désire agir. Il doit prouver ses qualités humaines avant de pouvoir prouver ses qualités intellectuelles. »

À l’inverse, l’agent d’encadrement s’attend à ce que le paysan le juge suivant ses normes, à lui l’encadreur, et il cherchera à s’imposer en faisant étalage de sa compétence technique. Pour lui, le bon paysan sera celui qui acceptera de suivre ses conseils. Jugement qui lui fera courir des risques, le bon paysan n’étant pas le meilleur pour l’efficacité de l’action entreprise par l’encadreur.

De ce fait, « le comportement de l’un ne peut que décevoir l’attente de l’autre ».

Pela Ravalitera

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Publié dans Histoire, Notes du passé

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