Conte: Le perroquet

Publié le par Alain GYRE

 

Le perroquet

 

En ce temps-là, Korea, le perroquet, avait un bec droit et fin.

Ce bec était bien pratique. Grâce à lui, Korea pouvait aisément piquer des choses vertes qui bougeaient dans l’herbe et s’en faire ventre plein. Ces choses vertes étaient des sauterelles.

« Elles sont stupides, songeait Korea, stupides et délicieuses ! »

Et il les faisait craquer dans son bec pointu, dégustant le jus vert de sauterelle qui remontait dans son gosier.

Il s’en fait même des réserves, pour les heures où il somnolait dans les branches du baobab, de gros tas de sauterelles mortes qui jaunissaient au soleil. Il disait que cela lui faisait comme un dessert… A chacun ses goûts !

Les sauterelles sont peut-être stupides quand on les picore une à une, mais ce sont des insectes : quand elles se regroupent pour réfléchir ensemble, elles peuvent devenir redoutables.

Il y eut un jour, sur la plaine verte des Hauts Plateaux, la plus grande conférence de sauterelles que le soleil ait jamais vue. Valala, le chef des sauterelles, prononça un long discours stridulent. Et dès le lendemain, la guerre commença.

D’abord Korea s’aperçut qu’il ne trouvait plus aucune sauterelle dans l’herbe. Avaient-elles disparu de la surface de la terre ? Il avait beau chercher : rien.

Il termina ses vieilles réserves et, quand il eut fini de croquer, avec nostalgie, la dernière coque croustillante, il commença à souffrir de la faim.

Il faisait de mauvais rêves, il avait des douleurs d’estomac, parfois il tombait de sa branche, hébété de fatigue et de fringale.

Un matin il entendit un  étrange bruit.

« Tiens, songea-t-il tristement, voilà que j’ai les oreilles qui bourdonnent, en plus ! C’est l’approche de la mort ! »

Ce n’est pas l’approche de la mort mais celle d’un nuage immense et noir, qui masqua bientôt le soleil et couvrit toute la plaine. Ce nuage crissait et grésillait et il arrondit sa course, droit vers Korea !

Des sortes d’énormes gouttes vertes se mirent à marteler le perroquet, sur le corps, sur la tête, comme un terrible orage horizontal.

« Mais, eut le temps de songer Korea, ce sont des sauterelles ! Des millions, des milliards de sauterelles ! »  Elles lui bombardaient le crâne et surtout le bec. Cela lui faisait mal, très mal… il tomba de sa branche et perdit connaissance.

Quand il se réveilla, perclus de douleurs, il s’aperçut que les sauterelles, pendant son évanouissement, avaient scié son bec. Son bec, son bec si fin et si droit, et si pratique pour picorer les sauterelles, était devenu une espèce de machin tordu, comme un outil pour casser des cailloux !

Korea attendit encore quelques jours, se mirant chaque matin dans une flaque d’eau pour voir s’il n’allait pas retrouver sa beauté initiale. Hélas, le bec restait en crochet.

Alors il se résigna. Il oublia les sauterelles et chercha des cailloux comestibles : des graines à la coque épaisse que son bec éclate sans problème. Tout de même, pour se consoler, il a volé à l’arc-en ciel la couleur de ses plumes. On remarquera que certaines sont d’un vert de sauterelles.

Mais Valala et ses troupes se moquent bien de ce défi, car depuis ce jour, les sauterelles sont les maîtresses des Hauts Plateaux et elles reviennent parfois en nuage épais pour le rappeler aux hommes.

 

Tiré de Quinze conte de l’Océan Indien

Daniel Vaxelaire

Collection Contes, légendes et récits

Edition Castor poche

Flammarion, Paris , 2002

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