Notes du passé: Des « dahalo » se rebellent dans le Sud
Des « dahalo » se rebellent dans le Sud
15.11.2016 Notes du passé N°2295
Durant la Première guerre mondiale, la Grande ile connaît un calme presque généralisé. « Jamais l’ordre, la sécurité, la domination française ne furent sérieusement mis en cause », écrit Maurice Gontard en 1968. Cependant quelques mouvements locaux éclatent. L’Extrême-Sud notamment est à deux reprises le théâtre d’une certaine agitation.
Cette contrée est une terre d’accès difficile, formée de vastes plateaux calcaires et cristallins, couverts d’une brousse basse avec plantes à épines et aiguillons. Selon un rapport de l’époque,
« les indigènes ont le visage expressif, énergique, non dénué de franchise; ils ne manquent ni de bon sens, ni même de finesse dans leur façon de raisonner ». Mais la région est aussi une terre traditionnellement de vendetta.
« Il n’est pas une famille qui n’ait une violence à reprocher dans le passé à un groupement voisin. C’est aussi une terre de vols de bœufs coutumiers. »
Comme le dit Decary en 1921, « dès que, après la naissance d’un enfant mâle, le père peut pénétrer dans la case de sa femme, il prend le tout nouveau-né dans ses bras et, armé d’une sagaie, danse autour de la mère en disant à son fils: Tu seras fort si tu es voleur; si tu es voleur tu ne manqueras de rien. Avec une pareille mentalité, les vols ne peuvent qu’être innombrables. » Les conditions administratives locales favorisent ces dispositions « naturelles». Très éloignée du gouvernement central, cette contrée se trouve à la lisière des provinces de Tolagnaro et de Toliara. Pourchassées par les autorités de l’une, les bandes peuvent aisément passer dans l’autre.
Dès le début de 1915, des rapports signalent au gouverneur général Hubert Garbit l’existence de bandes du côté d’Ampotoka, le long de la rivière Menarandra. Leurs membres sont constitués d’évadés des prisons des deux chefs-lieux de province, notamment de quatre enfuis de Toliara le 14 septembre 1914. Ils entraînent certains parents, s’arment de vieux fusils remis en état par des forgerons locaux et commencent leurs razzias au début de 1915. Le 25 janvier, un important vol de bœufs est commis dans la région. Une patrouille y est envoyée fin février, mais elle est arrêtée le 4 mars par une crue intempestive du Menarandra. Des rapports ultérieurs donnent de ces premiers incidents un compte rendu optimiste et apaisant. L’administrateur en chef de Toliara, Gerbinis, note en juillet, « qu’ils ont été grossis et déformés par l’imagination indigène et ne présentent aucune gravité ».
Reprenant cette interprétation, le gouverneur général répercute à Paris le 6 juillet 1915, que quelques prisonniers « évadés depuis plusieurs années et groupés entre eux constituent une bande dans le but surtout de voler des bœufs ». Et le 24 août, il rassure le gouvernement français: « Ces actes de brigandage n’ont qu’une importance locale sans répercussion sur la sécurité générale de la Colonie. » Néanmoins, il repousse vers l’Ouest la limite de la province de Tolagnaro par l’arrêté du 14 septembre et désormais, le fleuve Menarandra la sépare de celle de Toliara.
Mais l’absence de réaction militaire de l’administration aggrave la situation locale. Des bandes voisines fusionnent et fin 1915, c’est une véritable force armée qui se forme dans l’Extrême-Sud. Elle se fortifie dans le repaire d’Ambohitsy, « situé sur un sommet escarpé et boisé et comptant plusieurs lignes de défenses naturelles constituées par des roches et de la brousse épineuse ». Elle accumule dans sa citadelle de l’eau et des vivres, y aménage des habitations où viennent vivre femmes et enfants. « De cette base, la bande mettait en coupe réglée toute la zone aux confins des provinces de Fort-Dauphin et de Tuléar… » Pourtant les autorités civiles et militaires de Tolagnaro ne sont pas d’accord sur la réalité du danger. Les secondes se disent « pessimistes, des bruits qui leur sont parvenus, il infère qu’un mouvement de rébellion est possible parmi les indigènes ». Les premières sont
« optimistes et estiment que les habitants de la province n’ont jamais moins songé à se révolter ».
Mais fin décembre 1915, à Antananarivo et Fianarantsoa la « bombe » de la société secrète Vy-Vato-Sakelika (Fer-Pierre-Ramification) explose. « On voit aussitôt un rapport entre les bandes qui s’organisent dans le Sud et l’action de la société secrète. On craint même que les unes et l’autre ne soient en rapport avec l’Allemagne et les mouvements subversifs qui éclatent alors en Indochine ! »
Texte : Pela Ravalitera – Photo : Archives personnelles
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