Conte: Le Bœuf et le Caïman

Le Bœuf et le Caïman
Jadis le Caïman et le Bœuf étaient des animaux aquatiques : ils vivaient, comme les poissons, au fond de l’eau.
Par une chaude journée d’été, fatigués de rester dans le liquide élément, tous deux remontèrent à la surface de l’eau et gagnèrent la rive basse pour se chauffer au soleil. Ils s’étendirent sur le sable, et, autour d’eux, virent bien des choses à manger. Mais comment faire ? le Caïman n’avait pas de dents et le Bœuf ne possédait pas de langue à cette époque.
Chacun d’eux se plaignit avec amertume de n’être point pourvu de ces organes essentiels et de ne pouvoir goûter à tout ce qu’ils voyaient.
Réflexion faite, ils décidèrent de se rendre ensemble chez Ndriananahary pour lui demander de leur attribuer respectivement langue et dents. Lorsqu’ils furent arrivés au Ciel, le Caïman, le premier, exposa au Créateur ses desiderata : « Je vous remercie, dit-il, ô Ndriananahary, de m’avoir donné la vie ; mais, n’ayant pas de dents, je vis misérablement dans l’eau et ne puis absorber que des matières molles pour toute nourriture. Cela ne me suffit pas et je serais heureux de pouvoir, comme les autres, mâcher des aliments solides avant de les avaler. »
« Pour moi, dit le Bœuf, je possède bien de bonnes et larges dents, mais je n’ai pas de langue pour me permettre la déglutition de ce que je mange : je mâche tout ce que je trouve à ma convenance, mais je ne puis rien goûter, ni avaler. »
Touché de leurs justes plaintes, Ndriananahary promit aux deux animaux de leur donner satisfaction. « J’ai le pouvoir, leur dit-il, de remédier facilement à ces inconvénients ; en ôtant quelques dents au Bœuf, je puis en donner au Caïman ; de même, je puis enlever à celui-ci une partie de sa langue pour la donner au ruminant. Y consentez-vous tous les deux ?
— Volontiers, répondirent-ils à la fois, nous acceptons avec reconnaissance. »
Ndriananahary se mit alors en devoir de procéder à la double opération. Il arracha à la mâchoire du Bœuf un certain nombre de dents dont il orna la gueule du Caïman ; puis il enleva au saurien plus de la moitié de sa langue ; il la plaça dans la gorge du ruminant, à la grande joie des deux camarades. « Je donne, dit-il, au Caïman les dents du Bœuf, et à celui-ci la langue du Caïman. Allez, ajouta-t-il, et soyez heureux de votre nouveau sort, car désormais vous pourrez manger tout ce qui vous conviendra et vivre comme vous le voudrez : car vous aurez l’un et l’autre une nourriture appropriée à votre nature. »
C’est pourquoi le Bœuf n’a pas d’incisives au maxillaire supérieur ; pour le même motif le Caïman n’a qu’une courte langue1 , ce qui l’oblige à ouvrir la gueule en renversant la tête pour avaler sa nourriture.
La membrane que possède le caïman au fond de la gorge est considérée par les Bara comme une petite langue.
Contes-et légendes bara
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Bulletin de l’Académie malgache