Notes du passé: Simple intention ou délit d’opinion
Simple intention ou délit d’opinion
21.04.2017 Notes du passé
«Vy, Vato, Sakelika » ou « Fer, pierre, ramification ». C’est la dénomination d’une association- à l’origine culturelle- de jeunes gens, composée surtout d’étudiants en médecine et qui se forme vers 1912 autour d’un pasteur français.
À cette époque, toute organisation autochtone est illégale, aussi le VVS est-il interdit par l’Administration coloniale, et passe pour une association secrète. En 1915, elle est accusée de fomenter un complot contre la France et, particulièrement, d’organiser l’empoisonnement général, pour la date du 31 décembre à 21 heures, de tous les puits d’eau potable des Français de la capitale.
Quarante et un jeunes gens comparaissent devant le tribunal indigène, parmi lesquels figurent un certain nombre d’étudiants en médecine, dont les futurs hommes politiques Raseta et Ravoahangy, aux côtés desquels se trouvent un prêtre, deux frères des Écoles chrétiennes, des pasteurs, des écrivains comme Ny Avana Ramanantoanina…
Quelques-uns sont acquittés, mais la plupart se voient infliger des peines diverses de travaux forcés aux termes d’une loi du code malgache, donc antérieure à l’occupation française. Cette loi prévoit des peines excessives pour de simples intentions ou pour des délits d’opinion. Cependant, tous les condamnés sont, quelques années plus tard, amnistiés.
Un des premiers prêtres malgaches, Venance Manifatra (1862-1826), est issu de la tribu sakalava de Faseny, près d’Hellville sur l’ile de Nosy Be. Il passe quarante cinq ans de vie religieuse dans la Compagnie de Jésus et est reconnu comme étant « un grand entraineur d’hommes, travailleur infatigable, doué d’un esprit vraiment cultivé et d’une âme d’artiste » (Régis Rajemisa-Raolison). Il est du reste l’auteur de bon nombre de mélodieux cantiques et de plusieurs recueils de nouvelles écrites en malgache, pour ne citer que « Atsy àry », « d’une saveur raffinée ».
Impliqué dans l’affaire du VVS en 1915, Venance Manifatra est incarcéré en compagnie des frères Raphaël et Julien, occasion qui lui permet d’écrire un article intitulé « Un jésuite malgache en prison » (Revue des jésuites : Les Études).
Le frère Louis Rafiringa (1854-1917) « qui fait honneur à sa congrégation par sa piété, sa fermeté dans la doctrine chrétienne et son dévouement », est originaire d’Antananarivo. Il devient l’un des jeunes premiers instituteurs malgaches que le frère Gonzalvien peut s’adjoindre. Fils du chef des forgerons de Ranavalona Ire, il est avec Victoire Rasoamanarivo, le soutien de la jeune Église catholique aux heures difficiles où les missionnaires français doivent s’éloigner de l’île pendant les deux guerres franco-merina.
En 1915, il est aussi impliqué dans l’affaire dite VVS. Âgé d’une soixantaine d’années, « c’est avec le courage et la résignation d’un vrai religieux qu’il supporte les mauvais traitements d’un prisonnier », pendant les cinquante sept jours qu’il lui reste.
Le frère Louis Rafiringa
Le frère Raphaël Rafiringa est aussi une des sommités littéraires malgaches de son époque et se distingue par des brochures de spiritualité et des manuels pédagogiques qui témoignent d’une vaste culture et d’une connaissance approfondie du malgache. Il est du reste désigné par l’Académie malgache, avec d’autres confrères, pour traduire en français les « Tantara ny andriana » du père Callet.
Le pasteur Ravelojaona (1879-1956), personnage très influent dans la société malgache, est connu au triple titre de « mpitandrina, d’homme socialo-politique et de fin lettré ». Dirigeant plusieurs titres de journaux, il se montre épris de la formation sociale des jeunes, d’où son implication dans l’affaire VVS.
En mai 1939, il est élu délégué des populations autochtones de tout Madagascar au Conseil supérieur de France d’Outre-mer, fonction qu’il garde jusqu’en 1946. Ce qui lui permet de s’occuper des soldats malgaches en France au cours de la seconde guerre mondiale. En 1946, il pose de nouveau sa candidature pour la députation des populations autochtones, avec comme programme l’Indépendance progressive de Madagascar. Mais il est battu par le Dr Ravoahangy-Andrianavalona, promoteur de l’Indépendance intégrale. On sait que six mois après son élection, Ravoahangy adopte, à quelques nuances près, le programme du pasteur Ravelojaona.
La ligne de conduite de ce dernier en politique anticoloniale a toujours été dictée par le dicton malgache : « Aza manai-boron-kotifirana », autrement dit « n’effrayez pas les oiseaux sur lesquels vous allez tirer ».
Texte : Pela Ravalitera - Photos : Archives personnelles
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