Une dignité difficile à sauvegarder
Une dignité difficile à sauvegarder
29.06.2017 Notes du passé

Instruit par les leçons du passé, le roi Tsimiaro des Antankarana doit faire preuve de plus de circonspection à partir de 1850, en raison des pressions et des risques de représailles des Merina comme des Français et des autres. D’après l’historienne Micheline Ramiaramanana (Colloque international d’histoire du 27 juillet au 1er août 1987 à Antsiranana), il va néanmoins essayer de tirer parti des avantages qu’ils peuvent lui offrir.
La possibilité pour Tsimiaro de résider à une trentaine de kilomètres de la Grande Terre, à Nosy Mitsio, ile placée sous la protection des Français et hors de portée directe des attaques merina, lui donne une certaine latitude de mouvement qu’il n’aurait pas s’il avait vécu dans le voisinage immédiat des conquérants. Bien que cet avantage ait son importance, le nombre élevé des populations des iles, obligées de se rendre régulièrement sur la Grande Terre pour leurs cultures et leurs troupeaux, ne lui permet pas pour autant de maintenir un état de guerre permanent. « L’insécurité et l’appauvrissement, qui en résultaient, entraîneraient à moyen et à long terme une généralisation de la famine dont les Antankarana seraient les principales victimes. »
Pour les Merina, revers ne signifie pas renoncement, « mais la nécessité de concilier à la fois la ferme intention d’intégrer la région dans le Royaume de Madagascar, et l’impossibilité matérielle de la contrôler entièrement par un quadrillage systématique, leur dicte aussi une politique fondée non seulement sur la force mais également sur la persuasion ».
Les indispensables concessions se concrétisent par des actes de bonne volonté. Ainsi en 1853, lorsque deux militaires merina originaires de Sisaony et de l’Avaradrano désertent et se réfugient à Nosy Mitsio, le roi les fait ramener à Ambohimarina par des Lohavohitra (chefs de village). Ces derniers sont chargés de rassurer les autorités sur ses bonnes intentions puisqu’il se considère comme un Ambaniandro (Merina), un enfant de Ranavalomanjaka (Ranavalona Ire, 1828-1861), ayant déjà prêté serment de fidélité (velirano) et offert le hasina ou la piastre entière, symbole de reconnaissance et de confirmation du pouvoir royal. Les deux déserteurs, jugés par la suite pour complot, sont condamnés à mort par pendaison, afin de dissuader d’éventuels déserteurs.
En 1854, le roi des Antankarana délègue à Ambohimarina ses représentants pour assister à la fête du Fandroana, occasion obligatoire pour les grands du Royaume de Madagascar et ceux qui exercent quelque autorité de renouveler leur serment d’allégeance. Le gouverneur profite des festivités pour offrir des vivres à la délégation. « Il faut, néanmoins remarquer qu’en dépit des invitations qui lui sont adressées et de ses promesses de les honorer, Tsimiaro évite et évitera soigneusement de se rendre en personne dans une garnison merina, par prudence sans doute, se contentant le plus souvent de bonnes paroles. »
Attitude peu étonnant d’ailleurs dans la mesure où il n’est pas rare que les déclarations d’intention soient immédiatement démenties par les actes. En effet, en même temps que les gestes de bonne volonté, les escarmouches peuvent continuer de part et d’autre. Les razzias répétées des Betanimena (groupe de Betsimisaraka alliés des Merina) contre les Antankarana décident justement leur roi et les princes de Nosy Faly à se rendre à Nosy Be en août 1856, pour faire part au commandant particulier d’un projet d’expédition contre la garnison merina d’Anontsangana dans le Nord-Ouest du pays. Pour les Antankarana, en effet, « il n’y a de pires ennemis et traitres que les Betanimena. Ces derniers étaient associés aux Antankarana dans les trafics d’esclaves africains et comoriens. Ils rasaient la côte orientale de l’Afrique et les iles Comores pour les vendre ensuite à Madagascar. Par traitrise, les Betanimena s’emparaient des Antankarana pour les vendre comme esclaves. Ce mauvais souvenir se raconte et persiste jusqu’à ce jour. »
De nombreux Sakalava se déclarent prêts à marcher avec les Antankarana, soit un total de 6 000 à 8 000 hommes. Le commandant particulier, ne sachant pas ce qu’il peut y avoir de fondé dans les bruits circulant sur une expédition française à Madagascar, leur demande de différer leur projet pour éviter une complication de la situation.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Cassam Aly Ndandahizara
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