Voyage au bout de Madagascar
Voyage au bout de Madagascar
Par Arnaud Jouve Publié le 30-06-2017

Vendeur de khat sur la RN6.
ArnaudJouve
Voyage, dans la région Diana, dans la province la plus septentrionale de Madagascar, dont la situation de misère est à l’image de ce qui se passe aujourd’hui sur l'ensemble de la grande île. Un parcours le long de la route nationale 6, un axe économique vital pourtant délabré et en proie à tous les trafics. Reportage entre Antsiranana (Diego Suarez) et l’île de Nosy Bé.
Antsiranana, chef-lieu de la région Diana, à l’extrémité nord de Madagascar, souvent encore appelé par son ancien nom de Diego Suarez, est au cœur d’une des plus belles baies du monde (156 km de côtes). Elle abrite aussi le deuxième port de l’île. Etape pour les thoniers et encore quelques bateaux en transit pour le sud de l’océan Indien, le port et sa vieille ville semblent pourtant figés dans le temps, écrasés par le soleil, par le poids de son histoire et par une crise économique sans fin. A part une production de crevettes d’élevage qui s’exporte au-delà des mers et quelques activités qui tentent de survivre à l’isolement et à la pauvreté, la population rêve d’avenir et de développement entre délestages (coupures d’électricité), corruption endémique et insécurité chronique.
Pourtant, la région Diana n’est pas la plus sinistrée de Madagascar. On n'y connait pas la faim comme dans le sud-ouest de l’île, car les provinces du nord possèdent encore grâce à leurs montagnes quelques espaces forestiers à la différence du reste du territoire. Mais elle est représentative de l’état désastreux d’un pays qui est devenu l’un des plus pauvres du monde. « 90% de la population vit dans la pauvreté, un enfant sur deux (de moins de cinq ans) souffre de malnutrition chronique… Aujourd’hui, ses résultats en matière d’éducation, de santé, de nutrition et d’accès à l’eau sont parmi les plus faibles du monde (et) Madagascar est également un des dix pays les plus exposés aux effets du réchauffement climatique », indique la Banque mondiale.
La folie du khat: le nouvel « or vert »
Dans l’arrière-pays, la montagne d’Ambre (1475m d'altitude) domine la baie de Diego Suarez et alimente en eau toute la ville d’Antsiranana. Son massif, recouvert par une des dernières forêts d’origine, et protégé par le plus ancien parc naturel de l’île, dispose d’un microclimat et d’un régime de pluie exceptionnel qui abrite un écosystème d’une grande diversité, où vivent plusieurs espèces endémiques. C’est aussi, en périphérie de la forêt, une région de maraichage qui fut très productive et qui permit à de nombreux paysans de vivre très honorablement de leur production de fruits et légumes qu’ils exportaient vers Diego Suarez et dans une grande partie de la province du nord.
Mais dans les années 1960–1970, avec le départ des colons, le marché s’est écroulé. Certains cultivateurs ont alors tenté de compenser leur perte en plantant du khat* (Catha edulis) pour satisfaire une petite consommation locale qui, au fil du temps, a pris de l’ampleur. Dans les années 1990, le prix du Khat a augmenté, les agriculteurs se sont enrichis et, progressivement, le khat est devenu le nouvel « or vert » et a remplacé toutes les autres productions.
Le khat, qui ne fait l’objet d’aucune tentative de législation à Madagascar, est par contre classé par l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS) dans la catégorie des drogues entraînant une dépendance et il est à ce titre considéré comme un produit stupéfiant illégal dans de nombreux pays du monde.
Les feuilles, une fois récoltées, doivent être très vite consommées (quelques jours) et sont donc immédiatement chargées dans toute sorte de véhicules pour être transportées vers les principaux sites de vente et de diffusion.
A partir des bourgades en bordure du massif de la montagne d’Ambre (Joffreville, Antsalaka …), le rituel est le même tous les jours: les marchés et les bords de routes se remplissent tôt le matin de khat que l’on charge dans de grands paniers en osiers, dans des voitures et des camions pressés de prendre la route pour livrer la production du jour. Toutes ces voitures, souvent chargées plus que de raison, s’engagent alors sur la principale route qui traverse la province (la RN6) en zigzaguant entre les trous et la boue pendant parfois plusieurs jours pour fournir les principales villes de Madagascar (Antananarivo, Tuleara…), mais aussi l’étranger (Comores, Réunion…), via l’île de Nosy Bé qui possède, entre autres, un aéroport international que l’on dit très sollicité.
Misères et trafics sur la RN6
Axe économique vital pour la région Diana, la RN6, qui permet de désenclaver le port d’Antsiranana en rejoignant les autres villes du pays, est une route partiellement goudronnée sur certaines sections, comme entre Diego Suarez et Ambilobé (nids de poule, trous de plus de 30 cm de profondeur). Une route qui se mérite, surtout en saison des pluies lorsqu’elle devient difficilement praticable. Mais sa remise en état, promise depuis de très nombreuses années, devrait enfin connaître une amélioration significative, non seulement en réhabilitant la surface roulante, mais en remettant des rambardes aux nombreux ponts qui la jalonnent, car les précédentes, qui étaient métalliques, ont pour la plupart disparu.
Passage obligatoire pour les voyageurs et les marchandises, la route est aussi celle de tous les trafics malgré les multiples points de contrôles policiers ou « économiques » qui la bordent. On y croise, par exemple, des camions chargés de bois précieux que l’on exhibe aussi sur le bord de la route sous forme de meubles de maison ou d’artisanat pour la vente. Non loin de la réserve de l’Ankarana, où s’aventurent encore quelques touristes qui tentent de ne pas se faire surprendre par la nuit et le risque d’attaques, de grandes plantations de cannabis, dont tout le monde connaît depuis longtemps l’existence, exportent probablement par la RN6 leur production et d’autres drogues vers Nosy Bé, Diego Suarez ou vers la capitale.
Plus loin, avant la bifurcation pour le port d’Ankify, qui permet de rejoindre Nosy Bé, on traverse les villages de production de saphir qui témoignent de la présence de mines artisanales. Les pierres sont extraites dans des conditions souvent extrêmement dangereuses, sans aucune sécurité, et les mines ressemblent souvent à des trous profonds, parfois de plusieurs dizaines de mètres, généralement pas étayés. Les accidents y sont fréquents et tragiques. Les pierres font rarement la fortune de ceux qui les sortent de la terre, mais les pierres précieuses sont achetées le plus souvent par des Thaïlandais et des Sri-Lankais qui savent les exporter.
Nosy Bé, entre le paradis et l’enfer
Au sud de la région Diana, sur la côte au niveau de la ville d’Ambanja, se trouve Nosy Bé (l’île grande) et de nombreuses autres îles (Nosy Komba, Nosy Faly…) qui comptent parmi les plus beaux sites de Madagascar. Mer turquoise, plages de sable blanc et cocotiers ont fait de ces îles le plus grand lieu touristique de Madagascar. De nombreux hôtels ont été construits et l’île centrale de Nosy Bé s’est dotée d’un aéroport international (vol hebdomadaire Milan –Nosy Bé…) pour développer une industrie touristique capable de satisfaire les exigences d’une clientèle internationale fortunée. Mais le tourisme, en chute depuis plusieurs années, a de la peine à se relancer. Les problèmes de violence et d’insécurité qui touchent l’ensemble de la population sur tout le pays ont terni l’image de cet endroit paradisiaque.
Aujourd’hui, le plus grand hôtel de Nosy Bé et de Madagascar, tenu par des Italiens, fonctionne en vase clos et ne propose quasiment plus de sortie dans la principale ville de Nosy Bé qui se nomme « Hellville ». La clientèle, principalement milanaise, dispose de tous les équipements et boutiques de luxe sur place dans le village hôtel fermé pour vivre un séjour malgache merveilleux, totalement coupé des réalités de la population du pays. Le président de la République de Madagascar aime aussi venir y passer le weekend.
Un autre monde, loin de la dure réalité de ce que vit 90 % de la population malgache avec humanité et dignité, malgré la douleur de la pauvreté.
*Le khat contient des substances chimiques stimulantes de type amphétamines (la cathine et la cathinone) qui se libèrent en mâchant ses feuilles. Principalement consommé dans la péninsule arabique et dans la corne de l’Afrique, son usage s’est plus récemment développé au Kenya, aux Comores et à Madagascar. Les cultures de khat, qui s’étendent aujourd’hui tout autour du massif de la montagne de l’Ambre, se sont fortement développées ces dernières années et ne seraient plus, d’après les habitants, uniquement le fait de productions familiales régionales comme à son origine.
http://www.rfi.fr/hebdo/20170630-voyage-bout-madagascar-khat-pauvrete-trafic-drogue-tourisme
http://www.rfi.fr/hebdo/20170630-voyage-bout-madagascar-khat-pauvrete-trafic-drogue-tourisme