L’indigénat, un mot exécrable
L’indigénat, un mot exécrable
22.08.2017 Notes du passé

Indigénat. C’est sans nul doute le terme le plus abominé sous la colonisation et que l’Administration de l’époque définit, ainsi : « Sont qualifiés d’indigènes… les individus de l’un ou l’autre sexe, résidant dans la Colonie et ses dépendances, nés soit à Madagascar soit dans d’autres possessions françaises, ne jouissant pas de la qualité et des droits de citoyen français ou n’appartenant pas à une nationalité étrangère reconnue. »
Selon Dahy Rainibe, c’est tout un peuple qui est défini « négativement » et « l’euphémisme juridique » dissimule mal le « postulat fondamentalement raciste » sur lequel repose l’ordre colonial. L’historien présente une communication sur le sujet, au Séminaire de Mantasoa sur les Groupes sociaux, du 14 au 18 avril 1980.
Les dispositions légales sont essentiellement de trois catégories à la fin de la royauté merina : primo, les textes instituant et réglementant
l’indigénat depuis l’exposé des motifs de la loi d’annexion du 6 aout 1896 jusqu’aux textes réformés de 1946 ; secundo, les dispositions supprimant toutes les distinctions sociologiques de la période monarchique : arrêté du 26.09.1896 proclamant l’abolition de l’esclavage, celui du 28.02.1897 abolissant la royauté et celui du 17.4.1897 supprimant la féodalité ; et tertio, à partir de 1909, tous les textes en rapport avec la naturalisation.
L’appartenance raciale détermine le rôle et le rang : « La responsabilité dans la gestion du pays revient aux citoyens, les basses besognes aux indigènes. » L’exclusion de l’indigène de la vie de la cité est une exigence du colonialisme car « l’instauration et le maintien de la souveraineté étrangère impliquent l’assujettissement du colonisé ».
Toutefois, la colonisation n’est pas seulement une entreprise politique, elle traduit surtout un souci économique qui se cache sous une mission évangélisatrice. Celle-ci sous-tend toujours le racisme. Cette volonté éducatrice est concrétisée par différentes mesures légales, telles l’éradication des distinctions sociologiques de la période monarchique et désormais Andriana, Hova, Mainty, Andevo par exemple, sont d’abord des indigènes « pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur les critères de distinction sociale ». Il y a ensuite la prescription d’un certain nombre de moyens d’éducation, « dont les plus décisifs dans la genèse sont, sans doute, le travail obligatoire et la fiscalité ». Ces deux institutions à caractère économique renforcent « les lois sur mesure qui, dans le mode de production colonial, favorisent l’exploitation dont le colonisé est victime ». Exploitation qui, « sans aucun doute, est un aspect principal de la condition indigène ».
Dahy Rainibe développe que cette exploitation coloniale découle d’une situation essentiellement politique. C’est la volonté de puissance du colonisateur, la conquête et la perte de l’indépendance qui rendent possible la mainmise sur les hommes et les biens. Par la suite, préjugés et exigences de cette colonisation influent sur le comportement du vaincu : prise de conscience de son infériorité et résignation aux nouvelles valeurs sociales, telles « la citoyenneté, par exemple, une distinction très recherchée et hautement appréciée, mais un rêve inaccessible pour la grande majorité ». L’instauration d’un régime disciplinaire permet à l’administration de contrôler et de sanctionner les faits et gestes de l’indigène.
L’historien indique que, pour le colonisateur, la nécessité politique, la volonté éducatrice et les intérêts économiques justifient l’application du régime spécial de l’indigénat. C’est le décret du 7.7.1901 qui rend applicable dans la Grande ile les dispositions du décret 8.9.1887. En fait, une justice indigène est déjà organisée à Madagascar par le décret 24.11.1898. La répression par voie disciplinaire est, par la suite, réglementée par différents arrêtés (ceux du 3.12.1901,22.6.1908, 28.2.1924…). Elle ne sera abolie qu’au lendemain de la Deuxième guerre mondiale.
Donnant l’exemple du district d’Arivonimamo qui recense entre 800 et 1 000 habitants en 1908, Dahy Rainibe fait remarquer que 80% des exploitations de la population n’excèdent pas un demi-hectare et pour la plupart des paysans, les moyens de production se limitent à des outils rudimentaires. C’est dire que les fortunes sont insignifiantes et le capital économique individuel dérisoire (15,05 francs en moyenne).
Les fortunes très médiocres sont le lot de la grande majorité. Ainsi, la régularité des rentrées fiscales, ajoute l’auteur, n’est pas du tout le signe d’une prospérité économique, mais la preuve de l’efficacité de la force coercitive de l’administration. « Depuis la persuasion et la remontrance avec les kabary jusqu’à la persécution lors des enquêtes et des jugements en passant par l’intransigeance de l’Administration pour leur non paiement chaque fois que l’indigène est obligé d’entrer en rapport avec elle. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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