Le Triangle du Menarandra, lieu d’opération des Sadiavahe
Le Triangle du Menarandra, lieu d’opération des Sadiavahe
28.08.2017 Notes du passé

Face au mouvement des Sadiavahe dans le Sud (1915-1917), les autorités françaises se heurtent à des difficultés liées au genre de vie et à l’organisation sociale des populations du Sud. L’activité pastorale prédomine dans l’Androy ainsi que sur les plateaux mahafaly et karimbola aux pâturages maigres. Elle amène les habitants à se disperser en de multiples groupes isolés qui se déplacent sans cesse.
Ces changements fréquents de campement posent des problèmes délicats à l’administration : problème de police, problème d’imposition (dans quelles circonscriptions ces nomades doivent-ils payer leurs taxes ?). « La situation est encore plus complexe dans le secteur qui nous intéresse pour ces pasteurs », précise Faranirina V. Esoavelomandroso, dans un essai sur les Sadiavahe publié en 1975 (lire précédente Note).
Les Sadiavahe opère surtout dans le « Triangle du Menarandra » que limite ce fleuve au Nord, la piste Ampotaka-Kirimosa au Sud, et à l’Est celle de Kirimosa-Maheny. D’après l’historienne, les multiples groupements antandroy (Antesambaika, Afondraosa, Antesomangy, Afondralambo…) ou karimbola (Antemahembitse, Antetsilane, Antambalala) occupent ce « triangle » où les points d’eau sont rares. Ils se déplacent vers le pays mahafaly à la recherche de pâturages, mais restent en contact étroit avec les localités d’où leurs ancêtres ont émigré. Toutes ces localités sont situées à l’Est.
L’herbe abondante sur les bords du Menarandra attirent les Antandroy et les Karimbola et ils font paitre leurs troupeaux à Maniry, sur la rive droite du fleuve, en plein pays mahafaly. Les mêmes pâturages d’Ampanihy sont fréquentés par les éleveurs venus de Tsimilofo, « village devenu quasi désert en raison des déplacements temporaires ou définitifs », et de Tranoroa. Les deux localités dépendent administrativement de Beloha. « Un va-et-vient incessant se fait entre les rives du Menarandra et celles du Manambovo, mouvement difficile à contrôler pour des administrateurs et des militaires défavorisés par le cadre géographique et l’établissement d’une frontière qui ne correspond ni à une démarcation naturelle, ni à une limite ethnologique. »
Avant que n’éclate le mouvement des Sadiavahe, la frontière entre les provinces de Fort-Dauphin et de Tuléar va de Maheny en direction du Sud, à quelques kilomètres à l’est du Menarandra. Elle a été tracée au moment de la pacification sur une déclaration « du roi mahafaly, Tsiamponde, que les Français ont intérêt à ménager pour mieux asseoir leur domination sur le pays ». Ce roi maroseranana prétend avoir des droits sur les deux rives du fleuve. Alors, le gouvernement colonial étend à l’est du cours d’eau la circonscription mahafaly où Tsiamponde garde une influence, mais sous contrôle français.
Faranirina V. Esoavelomandroso assure que les inconvénients d’une telle frontière apparaissent nettement lorsque l’on songe aux relations existant entre les habitants des districts d’Ampanihy et de Tsihombe. Les contrôles s’avèrent inefficaces. Dès 1911, quatre ans avant le mouvement des Sadiavahe, les administrateurs du Sud adressent des rapports au gouverneur général, insistant sur la nécessité de rectifier la frontière « conventionnelle » : « Ethnologiquement, cette modification est simplement logique, elle aura pour effet de réduire le nombre considérable de perpétuels changements de résidence. Ces déplacements favorisent la fuite devant les autorités et les contraintes fiscales. »
Effectivement, sur ce perpétuel mouvement entre les deux provinces vient se greffer une différence de « régimes juridique et fiscal », favorable aux administrés. Si la population du district d’Ampanihy est assujettie à un impôt sur les bovidés, taxe importante dans ces régions d’élevage, celle qui relève de Tsihombe ne l’est pas. Ainsi à cause de ce déplacement incessant, il est difficile de distinguer le réfractaire aux impôts du nomade paisible. De surcroit, des rivières en crue ou des limites administratives arrêtent les poursuites.
Voici ce qu’écrit en mars 1915,le chef du district d’Ampanihy au chef de la province de Toliara à propos de l’interdiction faite par l’administrateur de Beloha de se rendre sur le territoire d’Ampanihy, afin d’y poursuivre la bande de malfaiteurs qui s’y est formée. « Je dois avouer que cet ordre me gêne beaucoup. Sans doute, je disposerai le cas échéant d’assez de force pour faire la police dans mon district, mais si dans une poursuite j’arrive à la limite de deux provinces, devrai-je pour cela m’arrêter ? Il me semble, dans des cas semblables, lorsque la situation peut devenir grave, si nous n’agissons pas énergiquement, il ne devrait pas y avoir de limites ! » Après un échange de lettres, Delpit, chef de la province de Fort-Dauphin écrit à son homologue de Tuléar, Gerbinis : « Les frontières administratives n’existent pas quand il s’agit de poursuites de malfaiteurs. »
Texte : Pela Ravalitera - Croquis : Faraniriana V. Esoavelomandroso
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