Les autorités locales des bleds perdus règnent en maitres absolus
Les autorités locales des bleds perdus règnent en maitres absolus
05.08.2017 Notes du passé

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous le gouvernement de Rainilaiarivony, la domination de l’oligarchie merina, indique David Rasamuel (Revue d’études historiques Omaly sy anio, N°15, 1982), est représentée dans les provinces par des officiers qui assurent le commandement des forts. Ils agissent souvent d’une manière indépendante.
Ne recevant aucun traitement de l’État royal, ils se livrent à des activités lucratives qui les poussent à exploiter les populations. « Les abus se font de plus en plus fréquents à mesure que l’on s’éloigne de la capitale du Royaume de Madagascar. »
L’historien, dans une étude sur les « déportés en Imerina au XIXe siècle », évoque la situation d’Ikalamavony dans le Betsileo, qui se prête à de telles irrégularités. Le fort, installé dans la province de Fianarantsoa, occupe une position marginale, à la frontière du pays bara. C’est une zone d’insécurité qui subit, dans cette période, de fréquentes incursions bara et la localité échappe plus ou moins au contrôle d’Antananarivo et de Fianarantsoa.
Le terme « déportés » peut sembler très fort, mais comme David Rasamuel le précise, il préfère l’utiliser plutôt qu’ « andevo », esclaves, ou « gadralava », condamnés aux fers. Car selon lui, comment expliquer autrement la situation de ces personnes « transférées de force de leur pays d’origine vers un endroit lointain » ?
Son étude s’étend de 1866 à 1896, et porte sur les moyens d’acquisition de cette main-d’œuvre servile ou pénale, ses conditions de travail et d’existence, et la situation au moment de leur libération.
Au XIXe siècle, les discours royaux qui ont force de lois et les textes législatifs comme les Codes des 101 et des 305 articles de Ranavalona II, suppriment progressivement les moyens juridiques qui permettent l’asservissement.
Pourtant, bien après l’interdiction officielle édictée en 1881, la réduction en esclavage et le trafic d’esclaves se poursuivent « sans aucune limite » notamment dans certaines régions du Betsileo. « Il n’est donc pas impossible qu’une partie des provinciaux déportés en Imerina aient été des esclaves acquis par le gouverneur nommé en 1866, après les années 1870 et 1880, alors qu’il était chargé de diriger le fort d’Ikalamavony. »
Certains articles de lois l’y favorisent d’ailleurs, disposant qu’un bon nombre de délits sont passibles de la condamnation aux fers, pour une durée variable parfois à vie. Placé à la tête d’un fort, le gouverneur a, parmi ses attributions, celle de veiller à l’application des lois dans sa circonscription.
Toutefois, selon David Rasamuel, aucune des lettres de ce gouverneur adressées à la reine ou au Premier ministre n’évoque l’état des condamnés. « Or, il existe sûrement des condamnés puisqu’il mentionne dans ses correspondances officielles la présence, dans son entourage, d’ andriambaventy, grands juges. » Il donne même des précisions sur leur effectif, les jugements qu’ils rendent, la nature des condamnations prononcées
Que deviennent ainsi les condamnés ? Et pourquoi n’y a-t-il pas de réaction de la part des autorités centrales d’Antananarivo et de celles de Fianarantsoa ?
L’auteur donne alors comme explications à cette situation floue, que subissent les condamnés à l’esclavage exploités par le gouverneur, la rareté des correspondances envoyées par ce dernier à la reine ou au Premier ministre, la complicité des juges eux-mêmes, le peu d’intérêt économique que présente la région pour le royaume et l’insécurité qui existe dans cette zone limitrophe où les hauts fonctionnaires merina ne souhaitent pas faire de fréquentes visites.
Des rapports du gouverneur adressés à Ranavalona (II et III) ou au Premier ministre soulignent encore plus nettement l’insécurité qui caractérise la région dans laquelle se trouve son fort. Celui de 1884 parle par exemple d’un secours qu’il doit apporter avec le « Foloalindahy», composé d’une cinquantaine d’hommes, à un village proche du fort. Le village a été razzié par les Fahavalo (ennemis ou pillards). Un de ses adjoints est lui-même tué au cours d’une expédition contre des pillards dans sa circonscription, en 1886.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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