Les vols de bœufs, une plaie pour l’Administration
Les vols de bœufs, une plaie pour l’Administration
29.08.2017 Notes du passé

L’administration française rencontre de nombreux problèmes avec les Sadiavahe, du fait du contexte dans lequel ces derniers mènent leur mouvement en 1919-1917 (lire précédentes Notes).
Faranirina V. Esoavelomandroso en fait le sujet d’un Essai publié en 1975.
Parmi ces « plaies », les vols de bœufs. Selon l’historienne, l’administration coloniale considère ces pratiques fortement ancrées dans les sociétés pastorales du Sud comme à l’origine des troubles qui secouent la région. D’après Gerbinis, chef de la province de Toliara, ils sont « source de conflits, rivalités et haines qui existent et naissent entre tribus et qui sont souvent la cause de meurtres ». C’est pourquoi dès que le mouvement Sadiavahe éclate, l’Administration la présente comme une simple affaire de vols de bœufs.
Durant l’année 1914, chefs de provinces et de districts du Sud, très préoccupés, proposent diverses solutions au phénomène,
solutions qui diffèrent d’une province à l’autre : jugement par le tribunal correctionnel en tant que délit dans la province de Fort-Dauphin ; recours aux coutumes locales et arrangement par simple kabary dans celle de Toliara qui engage la responsabilité collective dans les affaires de vols de bœufs (coutume du « sasalia » ou « sasatemboke » chez les Mahafaly, du « sasahotry » ou « volikotry » chez les Antandroy). Ce qui implique la participation de toute la communauté villageoise à la recherche des bêtes, lorsqu’il est démontré que les traces se perdent dans son territoire (pratique du « lian’aombe »).
L’historienne explique que le « sasalia » permet d’exiger la restitution des animaux volés et l’indemnisation non seulement du propriétaire, mais aussi de toute la communauté qui apporte son aide (le coupable doit restituer deux fois plus de bêtes qu’il en a volées). Bien que l’administration française ne puisse sévir sur le plan pénal (amendes ou emprisonnements), la plupart des administrateurs sont prêts à conserver cette solution pour différentes raisons. « Des raisons d’ordre politique : le caractère tout spécial que revêtent dans la province les vols de bœufs rendent indispensable le maintien de cette loi coutumière dans son principe. Sa suppression serait annihilée pour partie les résultats à attendre des diverses mesures insérées dans le projet d’arrêté et destinées à restreindre les vols de bœufs. Car le jour où les communautés de village sauront qu’elles ne peuvent plus être inquiétées en tant que collectivités pour les vols commis sur leur territoire, elles mettront beaucoup plus d’empressement à en rechercher les auteurs » (projet d’arrêté portant organisation de l’administration indigène dans la province de Tuléar, novembre 1915).
Faranirina V. Esoavelomandroso donne comme dernier point méritant d’être évoqué sur les circonstances qui entourent le mouvement des Sadiavahe, la situation économique du Sud durant la grande guerre. Tous les rapports des administrateurs au gouverneur général sont optimistes. En 1913, le chef de la province de Fort-Dauphin, Delpit, souligne « la tranquillité qui règne dans sa circonscription, aucun danger ne semble menacer la paix française ». « J’ai visité toute la province, sauf le district de Ranomafana où rien ne m’inquiétait. Ailleurs, j’ai pu constater que malgré les nombreux vols de bœufs et crimes qui en sont la conséquence, il n’y a pas lieu de s’alarmer du point de vue politique. »
Ainsi, l’année 1914 voit un projet de réductions successives des effectifs dans les postes de Fort-Dauphin, Behara, Ambovombe, Tsivory, Antanimora, Bekily et Beloha. Toutefois, précise l’historienne, les autorités locales sont assez inquiètes « à cause des difficultés économiques qui risquent d’être préjudiciables à la domination coloniale et qui leur dictent une attitude souple ».
En effet, la plupart des villages de l’Androy, du pays mahafaly ou karimbola vivent dans une pauvreté presque chronique en raison des pluies rares mais violentes. Certaines années sont particulièrement difficiles : en 1913, les pluies torrentielles qui s’abattent sur la province de Fort-Dauphin, provoquent des dégâts importants et « indigènes et colons se trouvent dans beaucoup d’endroits, dans la misère ». Aux pluies succède une sècheresse excessive entrainant la disette « en partie surmontée grâce à l’abondante récolte de mil ». Puis, la sècheresse sévit de nouveau.
Ce qui conduit Delpit, dans son rapport de septembre 1914, à insister sur la précarité de la situation économique dans l’Androy. Il parle de la « nécessité qui, à mon avis, s’impose, de retarder l’établissement d’un impôt sur les bovidés dans les districts de Tsihombe et d’Ambovombe. Cette mesure provoquera un mécontentement général chez les Antandroy. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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