Différents même devant la peste et la mort
Différents même devant la peste et la mort
07.09.2017 Notes du passé

À défaut d’user de « fraudes », les familles des malades de la peste pratiquent l’inhumation et l’exhumation clandestine, comme l’explique l’historienne Faranirina V. Esoavelomandroso, dans son étude sur « l’interprétation par les Merina du phénomène d’endémie pesteuse sur les Hautes terres centrales 1921-1936 » (lire précédente note). Certains Malgaches, écrit-elle, prennent le risque de procéder à l’ensevelissement clandestin de leurs parents décédés pour ne pas encourir le blâme des ancêtres.
« Si dans l’Europe moderne, les inhumations clandestines en temps d’épidémie, témoignaient d’un désordre puisqu’elles étaient l’occasion de se débarrasser d’un pestiféré en l’enterrant ailleurs pour éviter la contamination ou celle d’inhumer à la place d’un prétendu pestiféré une personne assassinée, en Imerina, elles avaient une toute autre signification.»
Elle cite des exemples à ce propos. Des gens fuient leur maison en transportant quelquefois les moribonds ou leurs morts sur des dizaines de kilomètres.
En 1929, une famille d’Isotry ne déclare pas un décès et va enterrer son défunt dans le caveau ancestral, dans la région d’Ambatolampy. Avec la complicité du Fokonolona ou des « mpiadidy », des familles de pestiférés, prévenues à temps du résultat du frottis sur la cause du décès de leur parent, se hâtent de procéder elles-mêmes à l’enterrement au cimetière spécial, à Ampasampito, en dehors de tout contrôle.
« Conscientes du danger réel de contamination et des problèmes que soulèverait l’enterrement dans le caveau ancestral, ces familles veulent néanmoins éviter l’inhumation anonyme à la sauvette, semblable à celle des condamnés ou d’étrangers, en manifestant ainsi la cohésion devant la mort. » Une fois, cet « honneur ultime » rendu au défunt et la conscience du devoir accompli apaisée, « c’est la fuite pour ne pas s’exposer aux représailles de l’administration ».
D’autres familles ne sont pas satisfaites d’une telle pratique et enterrent clandestinement leurs morts dans le tombeau ancestral, courant ainsi des risques très graves. L’administration explique cette attitude par la volonté des notables de maintenir les différenciations sociales héritées des hiérarchies traditionnelles, car les agents du service d’hygiène enterrent de la même manière tous les pestiférés, qu’ils soient « homme du peuple toujours pour eux un esclave » ou « hova de caste plus ou moins noble qui se retrouvent dans le même camion les emmenant vers le lazaret où ils sont confondus dans les mêmes locaux », signale Dr Girard.
Déjà choqués par le système du lazaret, on ne peut accepter facilement l’enterrement dans un enclos. L’administration cherche alors des solutions. La première est d’organiser les cimetières spéciaux en deux parties, dont l’une est réservée aux riches Malgaches désireux d’y faire construire des monuments familiaux « en respectant des règles d’hygiène ». Mais, commente l’historienne, c’est « méconnaitre l’attachement des Merina à la terre des ancêtres, tanindrazana ». D’où les enterrements puis les retours clandestins à la tombe familiale. L’administration informée de ces inhumations clandestines fait murer des tombes pour empêcher leur réouverture dans un trop bref délai.
« L’interdiction d’accès au caveau frappe ainsi des familles entières qui se voient, d’autre part, refuser toute autorisation d’exhumation. »
Le grave impact sur les Merina de ces peines presque infâmantes, contraint à rechercher des solutions pour régler la question de l’inhumation au « tanindrazana » dans le tombeau ancestral. Mais souvent celles-ci sont mal adaptées à l’esprit des Malgaches. Après avoir envisagé diverses solutions pour éviter cette situation, l’administration opte pour une plus respectueuse des traditions. Elle tolère en 1933 que « l’inhumation provisoire peut avoir lieu, si la famille le demande, à côté du tombeau de la famille ou d’une famille amie ».
Cette pratique du « fasana an’irotra » est courante en cas de décès d’un enfant de bas âge ou d’un décès survenu à une date trop rapprochée du dernier enterrement. Elle est mieux acceptée par l’opinion car l’exhumation est envisageable. De plus, le transport des restes mortels au moment du « famadihana » pose moins de problèmes matériels que dans le cas d’enterrements initiaux effectués au cimetière spécial sur la colline d’Ampasampito, loin du « tanindrazana ».
Le Dr Girard oppose ainsi « les enterrements hâtifs, à la sauvette…, sans autre présence que celle des fossoyeurs avec, à distance, parents et amis dissimulés dans les bosquets, et les foules joyeuses qui animent le cimetière entre mai et septembre à l’époque du famadihana ».
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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