La fuite pour éviter le lazaret
La fuite pour éviter le lazaret
06.09.2017 Notes du passé

Au bout de quelques années de sensibilisation (conférences, articles du Bulletin de la Société médicale BS.m…), les Malgaches n’ignorent plus totalement ni les causes ni les symptômes de la maladie. En 1933, par exemple, des paysans constatent dans leur village une forte épizootie chez les rats, suivie de cas de peste bubonique. Ils décident d’abandonner leurs maisons pour se réfugier dans des paillotes jusqu’à l’arrivée de la saison fraiche qui marque la fin de la période épidémique (« De la peste maladie à la peste politique, interprétation par les Merina du phénomène d’endémie pesteuse sur les Hautes terres centrales 1921-1936 », 1980).
Dans son étude, Faranirina V. Esoavelomandroso indique que l’attitude de ces paysans est symptomatique. « Ils n’informent pas l’administration, ne réclament pas non plus une quelconque aide officielle, aléatoire du reste en raison de l’éloignement, tentent en définitive d’échapper au contrôle sanitaire, en sachant très bien que la peste sévit chez eux. »
En réalité, tout un réseau de complicité se crée pour éviter l’application des mesures d’hygiène concernant l’enterrement de personnes décédées ou supposées mortes de peste. Malgré l’obligation disposée dans les textes sur les Fokonolona, les Malgaches ne déclarent pas toujours les maladies contagieuses. D’ailleurs, le personnel médical européen leur reproche souvent leur manque de collaboration. Celle-ci se traduit par « des renseignements sciemment faux ou incomplets sinon refus de tout renseignement». Ils font même « preuve d’hostilité à peine déguisée, manifestant ainsi une résistance passive envers le Fanjakana ».
Déjà dans la capitale, les procès verbaux dressés pour infraction aux règlements de police sanitaire sont fréquents, que dire alors de ce qui se passe à la campagne ? On tente d’égarer le service de dépistage par de fausses déclarations, des renseignements des plus fantaisistes sur la maladie et son évolution, et « le médecin ou plus souvent l’infirmier se contente de noter les indications données ». Toujours selon l’historienne, dans certains cas flagrants, la responsabilité des médecins est mise en cause. Quelques-uns délivrent des certificats de décès sans avoir fait de diagnostic précis ni vu les malades. D’autres n’établissent pas le diagnostic de peste alors que les symptômes ne devraient laisser aucun doute. « L’administration réprime ces fautes professionnelles en interdisant l’exercice de la médecine pendant un délai plus ou moins long. »
Faranirina V. Esoavelomandroso évoque la fuite comme autre pratique courante pour échapper aux complications administratives et aux règlements sanitaires, et afin de ne pas se sentir responsable d’un enterrement non conforme à la tradition. Quand on soupçonne la peste, on fait sciemment le vide dans la maison où a vécu le défunt : le garde-malade se déclare l’unique parent pour éviter aux membres de la famille un séjour au lazaret. D’après les fiches sanitaires, les familles se réduisent ainsi à deux ou trois personnes, le reste comme les voisins fuient au risque de disséminer la maladie.
L’historienne donne alors quelques exemples. Un garde-malade en contact avec un pestiféré dans l’Itasy s’enfuit et transporte la maladie jusqu’à Ambositra. Ses hôtes et lui meurent au bout de quelques jours. Ou encore, se dérobant à l’une des obligations les plus sacrées pour un Malgache, le Fokonolona en arrive à abandonner le malade et son proche parent (sinon le malade seul) à leur sort. Une femme abandonnée de tous est prête à enterrer seule son enfant mort de la maladie…
Toujours selon Faranirina V. Esoavelomandroso, quand ils ne fuient pas l’administration, certains Malgaches espèrent pouvoir acheter, cher, un diagnostic « favorable » pour obtenir le permis d’inhumer suivant les rites ancestraux. « Ils classent les médecins en deux catégories : celle des fabricants de peste, mpanao pesta ou ceux qui osent déclarer des cas de peste au titre de maladies contagieuses pour sacrifier les malades, envoyer leurs familles au lazaret et leur interdire l’accès à la tombe familiale ; et celle des non-fabricants de peste, tsy mpanao pesta, ou les médecins conciliants prêts à substituer les frottis et à ne pas diagnostiquer la peste en déclarant une autre maladie. »
Le Dr Ramanitrarivo prend la défense de ses collègues, accusés injustement de corruption d’après lui. Il met plutôt en garde contre les intermédiaires qui prétendent jouir de quelque influence auprès des médecins pour faire modifier le diagnostic. D’autres médecins parlent toutefois de « médecins marrons» qui se livrent à diverses manœuvres frauduleuses, « telles l’envoi au centre d’examen de frottis effectués sur une personne saine ».
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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