Les Tananariviens affolés par une « mystérieuse apparition »
Les Tananariviens affolés par une « mystérieuse apparition »
02.09.2017 Notes du passé

Les Hautes terres centrales subissent, en juillet 1921, l’invasion d’une maladie jusque-là inconnue, la peste, qui se manifeste alors sous la forme pulmonaire, très contagieuse et presque toujours mortelle. Comme l’explique Faranirina V. Esoavelomandroso, les Merina réagissent devant une telle calamité « inexplicable » par l’angoisse sinon la peur panique, la crainte d’une malédiction surnaturelle… (Revue d’études historiques, Omaly sy Anio, N°11, 1980).
De plus, la « mystérieuse apparition» en pleine colonisation marque l’attitude des Malgaches et « joue un rôle déterminant dans leur analyse de la calamité ». Aussitôt, ils en rendent responsables les Français. D’autant que les dispositions sanitaires sévères reflètent un « certain mépris» à l’égard des Malgaches, car elles sont généralement contraires à leurs coutumes, et que « l’oppression coloniale » se fait sentir à cause d’une application tout à fait arbitraire. Et les échecs de la lutte anti-pesteuse suffisent à les convaincre de « l’idée d’une maladie entretenue, sinon même inventée par les colonisateurs, pour leur permettre d’exercer une contrainte accrue sur les indigènes ». Leurs réactions trouvent alors leurs explications à la fois dans l’emprise des traditions et dans le poids du contexte national.
La maladie prenant de l’ampleur, les critiques tombent sur le « fanjakana raiamandreny » qui n’assume pas ses responsabilités envers « ses enfants, les indigènes ». Dès lors, les nationalistes se saisissent du problème et lui confèrent une dimension politique. « La vitalité du mouvement nationaliste entre 1922 et 1937 favorise cette évolution dans l’interprétation par les Malgaches du phénomène d’endémie pesteuse. » L’historienne ajoute : « Confronté à la mort quasi certaine d’un parent pestiféré, le Merina se sent frustré par une administration tracassière qui, par des règlements prophylactiques draconiens, le pousse à enfreindre ses coutumes ancestrales. »
La peste « importée » de Maurice sévit à Toamasina, de février à avril 1921, surtout dans les milieux des dockers et des tirailleurs malgaches. Les pestiférés sont isolés, quelques centaines de cases jugées insalubres brûlées, la vaccination obligatoire, les marchandises désinfectées. Mais la maladie qui ne frappe que les ports fin XIXe siècle-début XXe siècle, atteint l’intérieur de l’ile.
« Les erreurs de diagnostic du début de l’épidémie, le va-et-vient permanent entre la côte Est et la capitale, avec les facilités offertes par le rail, l’impossibilité de contrôler strictement tous les voyageurs pourraient expliquer l’introduction de la peste à Tananarive. »
À partir de 1922, la maladie s’étend rapidement. La zone déclarée contaminée dépasse Antananarivo et englobe progressivement l’Imerina, l’Itasy, le pays bezanozano, le Vakinankaratra et le Betsileo. Le fléau provoque une véritable obsession dans l’esprit des populations des circonscriptions infestées.
Averti par un notable d’une série de morts suspectes survenues à partir du 20 juin au sein d’une famille malgache, réunie le 15 juin pour célébrer un mariage, le service sanitaire après recherches, établit le 30 juin le diagnostic de peste pulmonaire. Le lendemain, la capitale est déclarée contaminée. Localisée d’abord à Anatihazo, elle se propage dans les bas quartiers ouest de la ville, à Mahamasina, Ambodinanosy, Anosipatrana, Isotry, Antanimena, Ankadifotsy, « quartiers indigènes populeux ». Les conditions d’hygiène et les activités de cette partie basse de la ville favorisent la diffusion inévitable d’une maladie contagieuse.
Concernant Isotry, l’historienne reprend un article du Madécasse, journal de colons, dans sa livraison du 5 juillet 1923, qui décrit ainsi le quartier : « Le plus animé et le plus délaissé : une poussière insupportable en saison sèche, une boue épaisse en saison des pluies sans compter la saleté des rues en toute saison en font le quartier le plus malsain. C’est là qu’on découvrit la peste pour la première fois, c’est là qu’on la voit réapparaitre de temps en temps. » Effectivement ces quartiers non assainis ont alors l’allure de « faubourgs avec des ilots de maisons en terre au milieu de marécages, de cressonnières ou de rizières ». Cela rend malaisée toute entreprise de désinfection.
Malgré des consignes très sévères pour accompagner le cordon sanitaire autour de la ville, les rats aux puces infectants arrivent à s’installer hors de celui-ci. De même, la crainte des habitants d’une pénurie qui hante les consommateurs depuis 1917, pousse les citadins à essayer de sortir de la zone contaminée pour se ravitailler directement sur les marchés de banlieue ou dans leur village d’origine. « Un médecin malgache note même que le cordon sanitaire n’a pas empêché bien des personnes de circuler entre Tananarive et les régions voisines indemnes. »
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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