Mise en valeur coloniale et « travail forcé »
Mise en valeur coloniale et « travail forcé »
18.09.2017 Notes du passé

Après la guerre des journaux entre les partisans du gouverneur général Augagneur et ceux de son successeur Picquié (1910-1914) concernant la construction de la ligne ferroviaire Tananarive-Antsirabe (TA) et au bout de la grande lenteur des études et des procédures administratives, la construction de ce chemin de fer est enfin acceptée (lire précédente note). Elle se fait en quatre tronçons : Soanierana-Behenjy (36km), Behenjy-Ambatolampy (26,4km), Ambatolampy-Ilempona (35,8km) et Ilempona-Antsirabe (55,3km).
D’après Jean Fremigacci, trois procédures sont mises en œuvre simultanément pour la mise en œuvre du projet : l’administration s’engage à fournir les matériaux aux entrepreneurs qui doivent faire l’objet d’appels d’offres ; des concours spéciaux sont prévus pour les ouvrages d’art, ponts et viaducs ; et pour les travaux de terrassement et de maçonnerie, le TA est divisé en quinze lots. Mais le népotisme, et non des arguments techniques, dicte le choix des entreprises adjudicataires (Ottino, Dussol, Bernard, Lasnier, Thorez, Gaillard).
«En 1920, l’inspecteur des Colonies examine le problème de l’exclusion, depuis 1907, des indigènes des marchés publics », sans pourtant pouvoir réparer cette iniquité. En 1922, une deuxième mission relève la persistance de l’abus en constatant que « ceci a pour but de protéger les petits tâcherons citoyens français, mais se révèle onéreux pour le budget local ».
En outre, avec la fin de la guerre et à cause des circonstances, le mot d’ordre est désormais de pousser au maximum la mise en valeur des colonies pour « venir en aide à la Métropole exsangue ». En ce qui concerne la Grande ile, on souligne l’importance d’une « exécution aussi intensive que possible des travaux publics destinés à mettre pleinement en valeur notre domaine colonial et à lui permettre de fournir à la Métropole les matières premières qu’elle est obligée d’acquérir à l’étranger ».
Le gouverneur général p.i. Guyon (juillet 1919-juillet 1920) fait activer les travaux en revenant aux méthodes inflexibles de Galliéni. Pourtant, si la conjoncture économique de 1919-1920 montre à quel point la TA est nécessaire, la construction n’a jamais présenté autant de difficultés. « L’économie du Vakinankaratra est en pleine reprise et le mouvement commercial à Antsirabe prend une extension tout à fait remarquable. »
En 1919, l’administration utilise la « persuasion active » pour alimenter les chantiers en travailleurs. Une méthode radicale est lancée : le « Telopolo andro » ou corvée rémunérée de trente jours qui remonte à l’arrêté du 7 avril 1916 au profit des exploitants de graphite. Si, à Moramanga, pour la construction de la ligne Moramanga-lac Alaotra, le texte est appliqué entre 1917 et 1920, dans le Vakinankaratra, la corvée de trente jours semble dater du 1er semestre 1919.
Le pasteur Parrot cite le cas de nombreux « indigènes » des régions d’Antsirabe et de Betafo, d’abord réquisitionnés en mai-juin 1919 comme porteurs pour deux voyages, de Betafo à Miandrivazo ; puis expédiés sur les chantiers de route et de reboisement sur le domaine forestier du chemin de fer. Il ajoute : « Ces corvées terminées- les trente jours semblant durer de quarante à soixante jours- et au moment où les cultivateurs se préparaient à labourer leurs rizières, un grand nombre d’entre eux furent expédiés aux chantiers de chemin de fer où la plupart restèrent soixante à quatre vingt jours. »
Et selon Jean Fremigacci, beaucoup de paysans auraient fait ainsi cent cinquante jours de corvée en 1919 pour des salaires dérisoires. Car, après la meurtrière épidémie de grippe espagnole qui entraine la désertion et la désorganisation des chantiers de la TA jusqu’en septembre 1919, les travaux sont poussés avec énergie. Le chef de la province du Vakinankaratra, Bensch, qui ambitionne de passer gouverneur, possède « une certaine expérience de la tâche de négrier » qu’il a assumée en tant qu’intérimaire à Fenoarivo-atsinanana en 1903-1904. Au début de 1920, il admet avoir fourni à l’administration et aux colons plus de 1500 hommes par mois. Guyon décide alors de faire appel aux provinces voisines de l’Itasy et d’Ambositra, soit un contingent de deux cents manœuvres pour un lot difficile à terminer. Tous ces recrutements se font sous la contrainte, et souvent, les chefs de circonscription doivent défendre les intérêts de leurs administrés.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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