Négociants et colons contre les mesures antipesteuses
Négociants et colons contre les mesures antipesteuses
04.09.2017 Notes du passé

Alors que l’Administration. S’efforce de circonscrire l’épidémie de la peste qui touche la ville d’Antananarivo en 1921, les risques d’extension hors de la capitale ne sont pas pour autant écartés. Bon nombre d’habitants se jouent du cordon sanitaire, craignant la pénurie. Pourtant des dispositions sont prises pour ravitailler la ville, « notamment en ce qui concerne le riz, dont il existe un approvisionnement important et qui ne doit, sous aucun prétexte, être payé au-dessus du prix normal ». Les points de ravitaillement sont les ponts de Tanjombato, d’Anosizato, d’Androrososona et d’Andranobevava, les bacs d’Anosimasina, de Mahitsy et de Mahazoarivo, les villages d’Ankadidramamy, d’Ankatso et d’Ambohipo.
Faranirina V. Esoavelomandroso parle également du « rôle probable joué par les gros négociants européens dans l’infraction aux règlements», dans une étude publiée dans un numéro de 1980, de la revue Omaly sy Anio n°11. En effet, soucieux d’écouler dans les villages environnants leurs produits de première nécessité et leurs tissus, ils adoptent la même attitude que celles de leurs homologues de Toamasina, pendant l’épidémie de 1899. Selon l’historienne, ils constituent à l’époque, un « Comité de protestation » pour critiquer les mesures draconiennes de police sanitaire qui risquent, d’après eux, « de porter un coup fatal au commerce ».
En outre, le 12 juillet 1921, tandis que les affiches officielles annoncent encore la veille, cinq nouveaux décès dus à la peste le président de la Chambre de commerce d’Antananarivo, Guinaudeau, invite le gouverneur général « à l’optimisme », dans une lettre publiée dans L’Indépendant. Il insiste sur le fait que l’épidémie est circonscrite, qu’elle ne touche que des quartiers précis de la ville. Et de demander un assouplissement des règlements pour éviter un « arrêt total des affaires ». Il précise « combien les relations capitale-banlieue sont nulles au départ à Tananarive, alors qu’à cette époque de l’année, les indigènes achètent habituellement à Tananarive force marchandises, et particulièrement des tissus », sans doute en vue des fêtes coutumières de la circoncision et du Famadihana. Il propose ainsi que l’on accorde plus de liberté aux voyageurs européens, les cas de peste apparus chez les seuls Malgaches démontrant que « les Européens sont plus réfractaires sur les indigènes à cette forme d’épidémie ». Bref, Guinaudeau suggère l’application de mesures spéciales pour les Malgaches, employés d’Européens, soulignant ainsi, indique Faranirina V. Esoavelomandroso, que « la bonne marche des affaires importe plus que la santé des colonisés». Guinaudeau conseille enfin de « n’effectuer qu’une opération de désinfection » des marchandises transportées par la voie ferrée pour réduire le délai d’acheminement.
L’historienne n’écarte pas non plus les responsabilités de l’administration dans la diffusion du fléau. Elle met notamment en exergue les précautions insuffisantes avec l’autorisation accordée aux paysans de venir au marché du Zoma, le 1er juillet, alors que le diagnostic de peste est établi la veille, et de retourner dans leurs villages le soir même, « sur simple présentation de leur ticket de marché ». Enfin, avant que la ville ne soit déclarée contaminée, une intense circulation journalière entre la capitale et la campagne environnante existe, telle celle des routiers qui ravitaillent le grand marché d’Isotry.
L’historienne tient cependant à corriger « la vision d’une maladie qui fait tache d’huile à partir de la ville ». Car une deuxième épidémie éclate en novembre 1921 dans les bas quartiers est de la capitale. C’est la saison pesteuse marquée par la montée des rats de rizières vers les villages. Et d’ailleurs à Madagascar, « la peste apparait plutôt comme une maladie rurale qu’urbaine ». Ainsi, à partir de 1922, les zones touchées s’élargissent de plus en plus chaque année.
Pour expliquer à ses compatriotes les raisons de cette propagation, le Dr Rajaobelina (BS.m N°27, mars 1927) cite l’impossibilité d’un contrôle strict, la dispersion des villages, l’insuffisance numérique des médecins capables d’établir un diagnostic sûr et rapide, l’ignorance par le Fokonolona chargé de surveiller les lazarets des règles élémentaires d’hygiène, et de la gravité du fléau.
Parallèlement, les colons de brousse font preuve du même état d’esprit que les négociants de la ville. Ne pensant qu’à la perte de journées de travail, ils estiment « gênantes sinon inutiles les mesures de prophylaxie, la maladie existant depuis longtemps dans leur zone. Ils reprochent même à l’administration « d’ignorer les réalités du pays ». de ce fait, ils n’aident pas les équipes de prophylaxie et empêchent la vaccination durant les heures de travail des ouvriers qui, à la fin de la journée prétextent la fatigue pour refuser de se faire vacciner.
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Institut Pasteur (« Omaly sy Anio » N°11)
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