Contrôler des firmes et non passer à leur service
Contrôler des firmes et non passer à leur service
09.10.2017 Notes du passé
Alain Escaro, dans son étude axée sur « La politique extérieure du gouvernement Ramanantsoa vue par l’hebdomadaire Lumière », situe le contexte général qui provoque les évènements de mai 1972. Évènements qui conduisent le général Ramanantsoa au pouvoir. Le journal catholique cite trois domaines pour les expliquer, à savoir l’enseignement (lire précédente Note), l’économie et la défense, les deux premiers étant « sous-tendus par le thème de la malgachisation ».
Concernant le deuxième domaine, Lumière, en parlant de la « Charte du développement » du 23 janvier, émet un commentaire dans sa livraison du 28 janvier, intitulé « Le chantage du développement ». Selon Alain Escaro, le journal récuse la thèse de l’assistance technique et de la coopération nuisibles à la prise de conscience des populations des pays en développement. Car pour l’hebdomadaire, primo, le peuple qui a du mal à se nourrir, ne peut changer les structures ; secundo, le développement ne peut se concevoir que dans un cadre international ; tertio, cette aide apporte des capitaux et des moyens « dont l’acquisition, dans le cas contraire, alourdiraient dangereusement le budget de l’État ». Insistant sur ce point, le journal catholique soutient : pour que cette aide soit positive, elle doit « servir à l’intérêt du peuple » et non à une « petite féodalité de profiteurs », « ce qui serait le souci du président Tsiranana ».
Dans le numéro du 13 février, un cadre du secteur privé, Marius Razafindrakoto, aborde la malgachisation de l’économie, à propos de l’accord État malgache-SCOA (ex-Compagnie lyonnaise de Madagascar) qui sera signé le 27 février. Il affirme traduire les idées de la « race nouvelle », c’est-à-dire des « jeunes généralement passés par les grandes écoles françaises ». Il estime que les rapports État malgache-entreprises privées étrangères « vont s’exercer dans le cadre de l’affrontement capitaliste traditionnel et que, par conséquent, aux rapaces étrangers, il faut opposer des rapaces malgaches, c’est-à-dire la race nouvelle ».
Un tout autre problème est celui du pétrole malgache. Le 5 mars, Lumière titre : « Odeurs de pétrole. Tsiranana va-t-il se mesurer aux grandes compagnies pétrolières ? » Alain Escaro résume l’affaire. Au terme de prospections, écrit-il, les compagnies étrangères (Conaco, Copetma, Agip, Chevron) estiment que les petites nappes découvertes ne sont pas rentables commercialement, alors que le président Tsiranana est convaincu que les compagnies cherchent, en fait, à garder le pétrole malgache en réserve à l’échelle
mondiale. Il les accuse même d’avoir «acheté» des membres du gouvernement et de hauts fonctionnaires. Lumière semble cependant sceptique sur les possibilités d’action du Président, et suggère « d’imposer dès aujourd’hui une redevance aux compagnies ».
Ce même numéro du 5 mars revient sur l’accord État-SCOA, cette fois-ci sous la plume de F. Mainardo, collaborateur du journal, qui ne mâche pas ses mots. Après avoir indiqué que l’État sera minoritaire dans la nouvelle société, il explique ce qu’est la SCOA : « Une vieille entreprise commerciale implantée surtout en Afrique, en France, en Grande-Bretagne et aux Antilles, contrôlée par la Cegepar, filiale de Paribas, ce holding dont le chiffre d’affaires est presque le double du budget général de Madagascar. » Aussi se demande-t-il : « Au lieu de prendre le contrôle des firmes qui dominent la vie économique, l’État malgache ne risque-t-il pas de passer à leur service ? »
Et de commenter : « Cette pénétration des organes de l’État par le capital financier a un nom, elle s’appelle le capitalisme monopoliste d’État. C’est le régime de la France actuelle, et assurément la SCOA, la Cegepar et Paribas ont su mettre,
sauront mettre l’État français au service de leurs intérêts auprès de l’État malgache, mais celui-ci au lieu de se dégager de l’emprise, la resserre. On tourne le dos à l’indépendance économique et au socialisme… le protocole à Mandritsoa annonce-t-il la malgachisation de la SCOA ou la SCOAisation de l’État malgache ? »
Les mois de février, mars et avril, de nombreux ministres se déplacent en Europe pour signer des accords et surtout en France pour obtenir différents financements. Et Alain Escaro conclut que, quels que soient les changements préconisés par le président Georges Pompidou dans la politique de coopération et de développement, « Lumière reste sceptique face à cette volonté de changement des Français perçus comme des égoïstes. »
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