«Madagascar, l’île où les morts ne meurent pas»

Publié le par Alain GYRE

«Madagascar, l’île où les morts ne meurent pas»

Par Loïc Hervouet — 13 octobre 2016

 «Madagascar, l’île où les morts ne meurent pas» illustration Bastien Dubois (extrait du film Madagascar journey diary). 

 

«Comprendre les Malgaches» de Loïc Hervouet (chez Riveneuve Editions) est un livre métis, plein d’histoires et d’études interculturelles pour (bien) se comporter dans la grande île qui accueillera en novembre le Sommet de la Francophonie.

 

Des observateurs, anthropologues professionnels ou amateurs, ont osé parler d’une civilisation nécrophile. La réalité est que le Malgache n’aime pas la mort («Mamy ny aina», Douce est la vie, dit le proverbe). Mais en l’acceptant, il la maîtrise, en l’intégrant au cours normal de la vie, d’une certaine façon il lui commande, et la relativise.

 

Le Malgache croit tellement réellement à la vie éternelle que le tombeau est primordial (vital ?), car «c’est là qu’on vivra le plus longtemps». Les dépenses consenties pour enterrer les défunts, honorer les ancêtres, valent mieux que l’accumulation d’un patrimoine (sauf, dans le sud, le patrimoine en zébus qu’on tuera le jour de la mort du propriétaire pour nourrir l’assemblée et installer les bucranes sur le tombeau). Imaginez, donc, les conséquences sur la hiérarchie des valeurs, notamment matérielles. D’autant qu’il ne s’agit pas là d’une croyance superficielle ou imposée par telle religion révélée ou tel catéchisme. C’est une conviction intime, chevillée au corps, composante majeure de l’âme malgache.

 

Cette question de la survie n’est pas discutable. Elle vient de Dieu. A la mort du corps, l’esprit de la personne entre dans un nouveau monde, autre que celui dans lequel il vivait naguère. La preuve par ce récit populaire:

 

«Au commencement de tout étaient le Dieu de la terre et le Dieu du ciel. Le Dieu de la terre admirait les étoiles, la lune, le soleil, le jeu des nuages, et jalousait le Dieu du ciel. Le dieu du ciel admirait les océans, les fleuves, les fleurs, les animaux, et jalousait le Dieu de la terre. Alors, ils se lancèrent dans une guerre impitoyable. Le Dieu du ciel inventa les tornades et les éclairs, la foudre aussi. Le Dieu de la terre fit surgir les montagnes pour monter à l’assaut du ciel. Puis vint l’armistice: pour se réconcilier, les deux Dieux imaginèrent d’inventer l’homme, qui les adorerait tous les deux. Le Dieu de la terre choisit la glaise et le Dieu du ciel y insuffla la vie.

 

«Tout alla bien tant que l’homme vécut dans l’adoration de ses deux Dieux. Mais comme aucun n’avait pensé à le doter de l’immortalité, l’homme mourut. C’est alors que la guerre reprit. Le Dieu du ciel dit: «Il est à moi, puisque je lui ai donné la vie.» Le Dieu de la terre dit: «Il est à moi, puisque je l’ai sculpté, et qu’il vit chez moi.» La guerre allait reprendre, quand les Dieux trouvèrent la solution ultime au différend : le corps resterait sur la terre, et l’âme rejoindrait le ciel. Cet accord divin subsiste jusqu’à aujourd’hui.»

 

Ces visions ne sont pas sans effet:

 

Nécessité absolue de revenir sur la terre des ancêtres :

 

Il n’est pire malédiction, après la vie, que de ne pas se retrouver dans le tombeau familial, sur la terre des ancêtres (tanindrazana).

 

Certitude que les ancêtres vont jouer les intermédiaires pour nous aider dans la vie :

 

Au besoin, on convoque la dérision pour rappeler les ancêtres à leurs devoirs : «Si le mort ne veille pas sur nous, qu’il se réveille et aille chercher des patates douces!»

 

Soin apporté au tombeau familial et aux cérémonies funéraires :

 

Certes faire un grand tombeau est une façon d’honorer et de contenter les ancêtres, mais c’est surtout se construire un abri car c’est là qu’on va rester le plus longtemps :

 

Si j’ai fait de granit ma maison pour la mort,

 

Je n’ai fait qu’en raphia la maison de ma vie. […]

 

Moment exceptionnel du famadihana (voir le génial carnet de voyage animé de Basdtien Dubois ci-dessous, décrivant la cérémonie)

 

La cérémonie consiste à ouvrir le tombeau, pour y faire entrer un nouveau mort, mais surtout pour prendre soin et changer les linceuls des ancêtres. Et la cérémonie ne sera pas triste, puisqu’on retrouvera les siens. Bien sûr, quand on a sorti leur mère du tombeau, morte peu de temps avant, qu’on leur a mis le linceul dans les bras, mes très jeunes neveux et nièces ont pleuré, puis l’orchestre est arrivé, a joué et les a fait danser… La vie est toujours la plus forte.

 

Multiples proverbes ayant trait à la mort et son inéluctabilité :

 

Le fait de mourir n’est pas un crime; et le fait de vivre n’est pas un mérite.

 

L’eau ne refuse pas de descendre, ni la fumée de monter.

 

Rien de plus sérieux que la mort, donc. Mais la dérision humoristique malgache n’épargne pas le sujet, comme dit le proverbe: Inutile de se plaindre d’avoir manqué un enterrement: ceux qui doivent mourir sont nombreux.

 

«Comprendre les Malgaches», de Loïc Hervouet (Riveneuve Editions, 15 euros), illustré par Jean Kouchner

 

http://www.liberation.fr/voyages/2016/10/13/madagascar-l-ile-ou-les-morts-ne-meurent-pas_1521486

Publié dans Littérature

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