Poème: Thrènes I - Pour Esther Razanadrasoa - J.J. RABEARIVELO

Thrènes
I
Pour Esther Razanadrasoa
Toi qui es partie avec le jour
et qui es ainsi entrée dans une nuit à deux remparts,
les mots humains ne peuvent plus te rejoindre,
ni te couronner ces hampes florales
que sont devenus les bourgeons éclatant aux arbres d’Imerina
le matin même du jour où tu nous quittas.
Une porte de pierre nous sépare :
une porte de vent divise nos vies.
Dors-tu sur la terre rouge où tu es couchée,
sur cette terre rouge où l’herbe elle-même ne pousse pas,
mais où il y a des fourmis aveugles qu’enivre
le vin des raisins noirs de tes yeux ?
Dors-tu, ou parles-tu avec nos amis
qui t’avaient devancée dans l’Inconnu ?
Que divine a dû être votre nouvelle rencontre
au bord du fleuve que nous n’avons pas encore passé !
Vous vous disiez des poèmes que nous n’entendrons plus,
les poèmes qui n’avaient pas fleuri vos lèvres vivantes…
Ici, les mêmes arbres nous entourent,
les mêmes hommes nous adressent la parole,
les mêmes hommes qui ne nous ont jamais compris
et devant lesquels nous avons plus d’une fois chanté
ensemble – mais pour nous-mêmes…
J’en suis excédé. Mais voici des pages encore blanches
qui dorment parmi tes manuscrits
et parmi les livres que tu nous a laissés.
Seul le deuil, seul le silence
y tracent des sugnes inutiles
et déposent, après, leur signature de néant ;
et c’est nous, qui les remplirons de chants
pour perpétuer ton souvenir,
toi dont la bouche est scellée sous la terre,
toi qui ne sens plus les fleurs pousser autour de toi,
toi qui es devenue un pur silence
et qui ne chanteras plus que par nos lèvres ?
Jean-Joseph RABEARIVELO
Presque-Songes 1934