Les sérieux préparatifs d’un jugement par le tanguin
Les sérieux préparatifs d’un jugement par le tanguin
05.01.2018 Notes du passé
Les « Manuscrits hova » , selon Alfred et Guillaume Grandidier, « Manuscrits merina » d’après A. Délivré, constituent un document qui offre « une masse abondante et très variée de renseignements sur l’histoire et l’ethnographie ». Il fournit d’autres précisions sur les Merina et les diverses populations de Madagascar des temps anciens.
L’historienne Lucile Rabearimananana explique qu’il est difficile de déterminer le ou les auteurs de ces Manuscrits. Certains avancent qu’ils sont écrits par « l’un des derniers survivants des ombiasy de Ranavalona Ire ». D’autres parlent d’un « vieil ombiasy de Tananarive ».
Quant au document lui-même, il en existait deux exemplaires dans la bibliothèque Grandidier. Une première version, l’original, est conservée au Musée de l’Homme à Paris (Fonds Grandidier du département de Madagascar). La deuxième qui devait être, d’après Alfred Grandidier, la version définitive, est une copie de la première, offerte à l’Académie malgache par son fils Guillaume, en 1954.
C’est sur ce « manuscrit anonyme de l’ombiasy» que Lucile Rabearimanana se base pour relater l’ordalie par le tanguin. Il comprend quinze cahiers, plus un seizième d’Alfred Grandidier. Cet usage est pratiqué quand c’est le souverain qui ordonne l’administration du « Cerbera venenifera », par exemple, à cause d’une accusation de sortilège, ne serait-ce que par un seul témoin.
L’accusé doit subir l’épreuve du tanguin dans la maison où on le trouve et l’arrête, même si ce n’est pas la sienne. Avant tout, on l’informe du motif de son accusation. Puis toutes les issues de la case sont fermées, toutes les fentes bouchées pour qu’aucun rai de lumière n’y pénètre. Cependant, on éclaire la pièce à l’aide d’une petite lampe.
Le document énumère également les différents « instruments » et « ingrédients » qui sont à rassembler pour réaliser l’ordalie. À commencer par deux noix de tanguin qui seront râpés et deux petits poulets qui serviront à « l’épreuve initiale ». D’après Lucile Rabearimanana, les termes exacts se traduisent par « qui succombent à la calamité ». Cette épreuve est destinée à vérifiée l’efficacité du poison. Une poule est aussi exigée pour en retirer la peau : « On choisit une poule bien grasse pour que, dit-on, les trois morceaux de sa peau que l’accusé avalera, puissent ressortir. » On prend une nasse à poissons où l’accusé devra vomir pour qu’on les retrouve.
On coupe aussi un bouquet ou une spathe (qui porte les fruits) d’un bananier qui contiendra « le tanguin une fois râpé avec la râpe à tanguin du prince qui administre le tanguin ». L’historienne explique que ce dernier a d’abord été choisi parmi les Zanakandrianentoarivo, mais depuis l’avènement d’Andrianampoinimerina, il est toujours issu des Zanakandriamasinavalona. Il est assisté d’un « Vadintany » et d’un « Andriambaventy » ou encore du fokonolona de la localité pour veiller au bon fonctionnement du « jugement ».
Il faut aussi préparer une bouillie de farine appelée « lasitra » et faire cuire du riz « ampangoro » en guise de « lafika ». Si l’accusé doit manger le riz avant l’absorption du poison, pour que « le tanguin trouve quelque chose » dans son estomac », on le gave de bouillie de farine pour l’aider à rendre les trois morceaux de peau de poule. Un instrument est également utilisé par « le prince qui administre le tanguin », la lance à tanguin. C’est une lame courbe de petites dimensions.
Un rituel précède l’ordalie proprement dite. Il y a d’abord les imprécations lancées à l’esprit du tanguin appelé Manamango. Lucile Rabearimanana indique que les anciens Malgaches, surtout les Merina et les Sakalava, croient que l’esprit du tanguin a la vertu de révéler ce qui est caché. Ils pensent ainsi discerner les coupables des innocents.
Le rituel prévoit aussi des déplacements au sud et au nord de la pièce, le passage de l’accusé et du poison au-dessus d’un feu, la préparation par le prince administrateur du poison des deux noix de tanguin épluchées, râpées, arrosées « d’une eau n’ayant pas vu le jour », le test sur les deux jeunes poulets, l’installation de la nasse devant l’accusé….
Tout au long de la cérémonie également, des imprécations sont proférées. Elles tournent surtout autour de l’éventuelle culpabilité ou innocence de l’accusé…
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
http://www.lexpressmada.com/blog/notes-du-passe/les-serieux-preparatifs-dun-jugement-par-le-tanguin/