Trois moyens pour échapper à la « mort au choix »
Trois moyens pour échapper à la « mort au choix »
29.01.2018 Notes du passé
Comme nous sommes encore en pleine saison pesteuse, nous reprenons ici l’un des textes choisis par Faranirina Esoavelomandroso, en annexe de son étude (revue historique Omaly sy Anio N°11, 1980). Il est intitulé « La prétendue peste ».
Durant l’apparition de la première épidémie de peste dans la capitale, le danger est vraiment là, mais ces « inventions » sont restées ancrées dans « ces cerveaux naïfs » qu’on aura du mal à les y déloger. Et quelles sont ces inventions ? Réponse.
Les Malgaches croient que la prétendue peste est un moyen de camouflage employé par les Vazaha « pour faire disparaitre peu à peu les autochtones de Madagascar ». Les Malgaches croient fermement que la peste n’existe pas, mais que toutes les maladies peuvent être appelées « Peste » quand les personnes qui en sont atteintes, sont… « désignées à mourir » par l’Administration.
Toutefois, ils espèrent y échapper. Ils croient que pour échapper à cette « mort au choix », il faut soit « être bien vu des Vazaha et de l’Administration », soit « bien payer les médecins, agents des Vazaha chargés de changer les maladies en peste », soit « se cacher ou cacher les malades si l’on n’a pas les deux moyens précédents ».
L’auteur anonyme de cet écrit souligne l’importance pour les Malgaches de ces trois moyens d’échapper « à la mort au choix ». Différentes expressions voient ainsi le jour. « Mpanao peste » signifie « fabricants de peste ». C’est le terme méprisant utilisé pour désigner les médecins qui, par obligation professionnelle, ont « osé déclarer des cas de peste au titre de maladies contagieuses ». L’objectif étant de sacrifier les malades- autrement dit envoyer leurs familles au lazaret- et leur interdire l’accès à la tombe familiale, « dernière injure pour les Malgaches ». « Tsara tsetsim-bola » : terme à la fois sérieux et ironique employé pour qualifier les médecins et infirmiers préleveurs de sang, pour dire qu’ils sont bien payés. « Paiement destiné à acheter leur complicité et leur empêcher de changer les maladies en peste. » « Mahay Vazaha » sont les Malgaches « bénis du ciel » qui, « grâce à leur bonne relation avec l’Autorité peuvent échapper à la mort au choix », quand ils sont malades. L’auteur donne un exemple frappant de cette belle déviation de l’opinion, celui « de la récente maladie du Dr Charles Ranaivo », en 1933. La rumeur publique a voulu que le « Docteur Charles Ranaivo soit gravement malade ». Mais grâce à ses relations avec les Vazaha, « il ne sera pas pesté et n’est pas désigné à mourir ». « Azo anaovana raharaham-pihavanana », expression malheureuse qui dénote cependant la satisfaction d’un Malgache quand « malheureusement », il obtient la complicité du « Mpaka ra » (médecin ou infirmier) pour opérer « la substitution de frottis à la grande joie des familles ». Et de commenter : « C’est le type parfait du Judas populaire qui a sa clientèle florissante malgré les crises car très recherché par l’autochtone… au grand malheur du pays. »
L’auteur anonyme donne aussi quelques réflexions des Malgaches sur la peste. Elles dénotent la « déviation malheureuse de leur opinion » et dictent aux dirigeants d’y porter remède au plus tôt.
• « Parait-il, m’a-t-on dit, que l’Administration demande un grand nombre de pestes cette fin d’année : un chiffre est à atteindre au 1er janvier, alors les médecins ont reçu l’ordre d’en faire le plus qu’ils peuvent. Ils en font même à Befelatanana.»
• « Connaissez-vous l’infirmier Untel ? Quel bon dokotera : il ne fait jamais de peste ! Nous regrettons son départ. »
• « Oh ! Docteur ! Faites ce que vous pouvez ! Pensez à moi qui suis veuve ! Qu’est-ce que je deviendrai si on m’envoie au lazaret avec les petits… On dit qu’on en demande tant ! »
• « Pour ma part (m’a dit un de ces bavards dangereux), j’en ai vu des centaines et des centaines de frottis (sic). Pour notre mère défunte, jamais sang n’a été si propre ! N’empêche que l’animal (le médecin) l’a pestée quand bien même on l’a payé ! ».
Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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