Conte: Le tataro et les caïmans ou Pourquoi les engoulevents ne boivent que de la rosée

Le tataro et les caïmans ou
Pourquoi les engoulevents ne boivent que de la rosée
Les vieillards d’autrefois s’assirent
Et leur tête était chauve ;
Le rat en se gargarisant,
Beaucoup de ses dents tombèrent ;
Mais quatre dents restèrent
Qui détruisirent tout dans sa maison ;
Le Voankôhy, faisant ses ablutions,
Rouge devint son derrière.
Un tataro (Caprimuldus madagasccariensis, sorte d’engoulevent) se promenait un soir au bord d’une rivière. Il rencontra des caïmans qui se reposaient sur le sable. Il les salua etcausa avec eux. Au bout de quelques instants l’un d’eux dit :
- Mon ami, si vous connaissez quelqu’un qui sache préparer l’ody fanjavona, amulette qui rend invisible, je vous prie de le conduire ici, nous lui en achèterons.
- Oh ! dit le tataro, beaucoup de devins prétendent qu’ils savent le préparer, mais aucun ne sait le faire comme il faut. Si vous voulez, je vous le préparerai moi-même, car je l’ai appris d’un kananoro (guérisseur nain), bien savant, et je vous l’apporterai.
- Oh ! volontiers, mon ami, nous vous en remercions beaucoup !
- Eh bien ! je vous l’apporterai jeudi.
Les caïmans furent très contents de cette promesse et ils se disaient :
- Désormais, nous pourrons entrer dans les villages, nous promener sans que l’on nous voie, manger tout à notre aise les poules, les canards, les chiens , et peut-être même des femmes et des petits enfants.
Le jeudi venu, le tataro apporta aux caïmans des feuilles quelconques qu’il avait bien pilées et il leur dit :
- Mangez chacun un peu de ceci ; c’est l’ody fanjavona. Le secret de cet ody (charme) c’est qu’il ne faut pas avoir peur. Si vous n’avez pas peur vous deviendrez invisibles toutes les fois que vous le désirerez.
Les caïmans mangèrent les feuilles. Le tataro leur dit ensuite :
- Maintenant vous pouvez éprouver mon remède. Allez dans le village, là-haut, manger les poules et les canards. Vous n’avez rien à craindre des habitants ; ils ne vous verrons pas.
Les caïmans convinrent d’y aller le lendemain matin.
Le tataro les quitta et, faisant un détour, vola jusqu’au village. Il pria le chef de réunir tout le monde sur la place, et là il dit :
- Demain les caïmans qui sont dans la rivière vont monter jusqu’au village pour manger les poules, les canards et les chiens. Ils croient qu’ils seront invisibles car je leur ai donné un ody qu’ils ont pris pour l’ody fanjavona. Faites semblant de ne pas les voir et,lorsqu’ils seront tous réunis sur cette place, vous pourrez les tuer.
- Oui, c’est cela, dirent les habitants.
Le lendemain le tataro alla appeler tous les caïmans et ils se mirent en marche doucement. Arrivés près du village, ils rencontrèrent quelques personnes.
- Est-ce qu’on ne nous voit pas, Ratataro ? demandèrent les caïmans.
- Non, non, répondit celui-ci, n’ayez pas peur. Il n’y a que moi qui puisse vous voir.
Un peu plus loin ils rencontrèrent un autre groupe de personnes.
- Croyez-vous, Ratataro, que l’on puisse pas nous voir ?
- Non, non, répondit celui-ci. Vous voyez bien que ces hommes ne tournent même pas la tête de votre côté. Ils ne vous voient pas.
Les caïmans, bien tranquillisés, hâtèrent le pas et les premiers ne tardèrent pas à arriver sur la place du village. Quelques habitants qui étaient couchés dans le fantsina (salle de réunion) ne se dérangèrent même pas. Quand les caïmans furent tous là, le tataro donna l’alarme. Les habitants, qui étaient sortis du village pour surveiller leur marche, revinrent au plus vite. Ceux qui étaient dans la fantsina descendirent, ceux qui, étaient dans les cases en sortirent. Tous brandirent leurs armes, se précipitèrent sur les caïmans et les tuèrent. Un seul put s’échapper sans blessures trop graves. Il courut vers la rivière, et, dès qu’il y fut arrivé, il dit à ceux de ses camarades qui étaient restés là :
- Le tataro nous a trompés et il a fait tuer tous nos parents et tous nos amis. Jurons à lui et à tous ceux de sa race une haine éternelle ! Que celui d’entre nous, qui rencontrera un tataro et ne le mangera pas, soit changé en vent, soit changé en trombe !
Tous jurèrent. Mais le tataro malin avait entendu tout le discours. Il conseilla à ses amis de ne plus aller boire désormais dans les grandes rivières et les mares.
Et depuis lors les tataro ne boivent plus que la rosée.
Et si cela n’est pas vrai, ce n’est pas moi le menteur, mais les vieillards d’autrefois.
Et celui qui ne répondras pas à cela, que son vêtement soit brûlé !
Aux origines du monde
Contes et légendes de Madagascar
Réunis par Galina Kabakova
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