Chasser les superstitions en profanant les lieux sacrés
Chasser les superstitions en profanant les lieux sacrés
5 avril 2018

« Une différence très nette sépare les deux générations de missionnaires qui se sont succédé en Imerina, de 1810 à 1836, puis de 1861 à la fin du XIXe siècle. » C’est ainsi que Françoise Raison introduit son étude sur l’intérêt pour l’oral concernant le travail missionnaire (Revue d’études historiques. « Hier et Aujourd’hui », premier semestre 1982).
Les premiers , précise-t-elle, amorcent des collectes de contes et proverbes dans une perspective avant tout linguistique, afin d’extraire vocabulaire et règles grammaticales de ce corpus, et construire ainsi les premiers ouvrages scientifiques qu’ils estiment être des compléments indispensables au travail missionnaire proprement dit. Les seconds, poursuit-elle, s’attachent à rassembler le « folklore » d’un peuple, avec ses variations régionales et thématiques.
Françoise Raison souligne que tous reconnaissent « l’absence quasi-totale de termes abstraits » et rattachent ce fait non pas à l’absence d’une littérature écrite, mais à une « particularité d’esprit propre à cette nation ». cette particularité les rend « beaucoup plus familiers avec les objets sensibles qu’avec les objets intellectuels ». et de préciser « Les faits, les anecdotes, les occurrences, les métaphores ou les fables se rattachent à des objets sensibles et visibles ou dérivés qui semblent former la base de la plupart des leurs exercices mentaux ». et d’après Ellis, « de remarquables capacité s intellectuelles se trouvent ainsi détériorées ». capacités intellectuelles qui se voient,, renforce l’auteure de l’étude, dans la clarté de l’exposition, la netteté de l’argumentation lors des disputes et procès, l’aptitude remarquable au calcul, au commerce.
Ainsi, la première équipe de missionnaires, « déçue du peu d’intérêt de la littérature orale en tant que système de pensée », doit cesser rapidement de s’y intéresser. Pourtant, jusqu’en 1830, pour la composition du Dictionnaire, c’est la période de collecte des « coutumes, comportements et antiquités des gens et du pays, et aussi les fables, devinettes, chants, proverbes, figures, allégories, superstitions, idolâtrie… » Les élèves de la mission y prennent une part importante, encouragés, sinon rémunérés, par leurs maîtres. Parfois, ces derniers les accompagnent pour des expéditions où se mêle l’objectif de « déraciner des superstitions qui relèvent de l’imagination, puissance trompeuse et diabolique, régnant à la fois dans l’esprit de leurs élèves et dans celui des paysans ».
Ils en arrivent à questionner sans ménagement ceux-ci, à pousser les arguments de leurs informateurs « jusque dans des conclusions absurdes », portent la main et la pied « sur des sites protégés par la terreur sacrée » qu’ils inspirent jusque là et poussent « leurs élèves à participer à ces profanations ».
Françoise raison relève qu’au cours d’une excursion dans l’Imamo, ils discutent avec les habitants de leurs « traditions superstitieuses » concernant Rapeto. Ce dernier est présenté par la légende comme « un héros , demi-dieu et si monstrueusement grand qu’un de ses pas équivaut à six ou sept jours de trajet d’un homme à pied. Il combattit avec la lune, fut vaincu et enterré au sommet de l’Ambohimiangara, la plus haute montagne de la province de Mamou » (lettre du missionnaire Freeman à la LMS en date du 14 juin 1830).
Les missionnaires réagissent brutalement contre les croyances ancestrales de la population de l’Imamo, pensant convaincre celle-ci du bienfondé et de la supériorité de la religion chrétienne écrite.
Texte : Pela Ravalitera – Photo : Archives personnelles
https://www.lexpressmada.com/05/04/2018/chasser-les-superstitions-en-profanant-les-lieux-sacres/