Infrastructures et transport : les parents pauvres du développement
Infrastructures et transport : les parents pauvres du développement
APOI 1 juin 2018

Les infrastructures (routes, ports et aéroports…) et le transport (dont le transport aérien incontournable pour un État insulaire) sont éternellement déficients. Les bailleurs internationaux peuvent injecter autant d’argent qu’ils le peuvent, les infrastructures continuent à se dégrader sur l’ensemble du vaste territoire malgache. Un ancien Ministre des Transports Malgache déclarait, il y a quelques années déjà, “à Madagascar, nous n’avons pas la culture de l’entretien…”. 300 à 500km de routes disparaissent chaque année. En toute objectivité, les conditions climatiques (dont cyclones) ne sont pas totalement étrangères à ce phénomène.
Ainsi sur les 50.000km de réseau routier recensés et qui furent parfaitement entretenus jusqu’au début des années 70, l’on estime que moins de 30.000km sont, aujourd’hui, praticables. À peine plus de 10% sont correctement bitumés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la vitale Route Nationale 2 (celle qui relie la capitale au principal port, celui de Toamasina par lequel transitent plus de 80% des marchandises qui entrent ou sortent du pays) se dégrade à tel point qu’il faut deux à trois heures supplémentaires pour accomplir les 360km. La RN 6 qui parvient jusqu’à Diego Suarez fut coupée en fin d’année dernière (ici, c’est un pont qui s’était effondré…). Suite au passage du premier cyclone de la saison, Ava ce début janvier 2018, la RN 7 est redevenue impraticable sur une bonne partie de son parcours…
Les routes victimes du “climat des affaires”
Jusqu’en 1970, on pouvait circuler en voiture légère à travers tout le pays. Aujourd’hui, bon nombre de localités ne sont accessibles qu’avec des 4×4 et… des chauffeurs expérimentés. Ce n’est pas trop l’État des routes goudronnées qui est inquiétant mais bel et bien celui des pistes qui permettraient à 10 millions d’actifs ruraux d’évacuer leurs produits de rente. De même qu’il est plus urgent de construire des écoles ou des dispensaires plutôt que de rénover des aéroports, il conviendrait d’entretenir en priorité les pistes. Des régions entières, au fort potentiel économique et/ou touristique sont ainsi totalement enclavées : la SAVA au Nord-est, Soalala (région Boeny) dans l’Ouest, Fort-Dauphin au Sudest… Liste loin d’être exhaustive. Paradoxalement, les transporteurs routiers ne se plaignent pas outre mesure de l’État des infrastructures. Ils ont conscience, eux qui pratiquent des prix souvent exorbitants (notamment à l’adresse des petits exploitants agricoles pour acheminer leur production), que si les routes étaient en large majorité praticables, des opérateurs (notamment réunionnais qui prolongeraient la vie de leur matériel roulant) viendraient leur porter une redoutable concurrence. Comme dans beaucoup de secteurs, le développement n’est pas souhaité par tous… En fin d’année dernière, le gouvernement a décidé d’augmenter très sensiblement les taxes sur les produits pétroliers afin d’alimenter le FER (Fonds d’Entretien Routier). Pendant des années ce fonds a été suspendu afin, pour des raisons populistes, de maintenir le prix des carburants à un niveau “socialement acceptable”. La pression exercée sur les compagnies pétrolières devrait être forte pour que celles-ci réduisent leur marge (en compensation de l’augmentation des taxes et toujours pour des raisons de politique politicienne, prioritaires en période électorale). Les collectivités territoriales décentralisées devraient être dotées des moyens afin d’assurer l’entretien des pistes, voire des routes.
Transport ferroviaire en stand-by
En ce qui concerne le transport ferroviaire, il faut noter que l’État du réseau était bien meilleur en 1930 qu’en 2018. Le transport ferroviaire, dans un pays aussi vaste que Madagascar, devrait jouer un rôle majeur dans le transport des marchandises, surtout, mais aussi des hommes. Il faut croire que le lobby exercé par les transporteurs (dès transporteurs de produits pétroliers jusqu’aux multiples compagnies de taxi brousse) est suffisamment puissant pour que le trafic ferroviaire ne se développe pas. Madarail continue d’exercer une activité sur le réseau nord (Antananarivo – Toamasina) tant en transport de marchandises que de voyageurs. Au mieux, les volumes transportés ne représentent que quelques pour cent de ceux qui transitent par la route. Sur le réseau Antananarivo – Antsirabe, le trafic est suspendu depuis de nombreux mois dans l’attente de la réfection des voies. Le réseau sud (Fianarantsoa – Manakara), quant à lui, continue de fonctionner cahin-caha (les déraillements sont fréquents et les retards sont la règle). Néanmoins, cette ligne de 263km est essentielle pour toute une région au long de la côte Est. Cette ligne, qui traverse des paysages magnifiques, est extrêmement spectaculaire (54 tunnels, 63 ponts, une trentaine de gares et arrêts de brousse…) et offre un intérêt touristique majeur. Son manque de fiabilité, toutefois, entraîne une baisse régulière de sa programmation par les Tours Opérateurs.
Transports maritime et aérien en mutation
Madagascar dispose de 17 ports mais une large majorité du trafic maritime est assurée par le port de Toamasina (lire par ailleurs l’article consacré à la société du port à gestion autonome de Toamasina) en pleine extension. Outre celui-ci, trois autres ports sont à gestion autonome : Antsiranana (Diego Suarez), Toliara et Mahajanga. Des travaux d’agrandissement et de réhabilitation ont intéressé plusieurs ports ainsi que d’entretien effectués par l’Agence Portuaire, Maritime et Fluviale (APMF). L’APMF, créée en 2004, est chargée du suivi des ports à gestion autonome et assure l’entretien des voies de navigation fluviale et maritime. En ce qui concerne l’exceptionnelle et unique voie fluviale, dénommée Pangalanes (des centaines de kilomètres d’une succession de canaux, embouchures
de fleuves, lacs et rivières…) tout au long de la côte Est, sa réhabilitation devrait être appuyée par le Royaume du Maroc. A l’image de la liaison ferroviaire sud, les Pangalanes devraient constituer un moyen d’assurer l’évacuation des produits agricoles de rente (nombreux épices, café…) depuis l’extrême Sud jusqu’au grand port de l’Est. Les croisières fluviales sur les Pangalanes sont programmées auprès de plusieurs Tours Opérateurs. Faute d’entretien (seuls quelques tronçons sont navigables), l’intérêt économique et touristique demeure cependant limité. Quant au transport aérien, une véritable “révolution” s’est concrétisée en fin d’année 2017 par la signature définitive des accords de partenariat stratégique entre les compagnies Air Madagascar et Air Austral. La compagnie française de l’océan Indien entrant au capital d’Air Madagascar à hauteur de 49% (voir l’interview du PCA d’Air Madagascar). Les défis demeurent immenses à relever afin de redonner à la compagnie aérienne malgache son “lustre d’antan” pour reprendre l’expression de Marie Joseph Malé, PDG d’Air Austral. Le secteur touristique attend, en ce début d’année 2018, la réhabilitation de l’ensemble de la flotte Air Madagascar, dont une partie assurant le domestique volera sous les couleurs d’une filiale à 100% d’Air Madagascar, ce qui devrait considérablement dynamiser le réseau intérieur. Air Austral devrait programmer des vols directs depuis Saint-Denis de la Réunion à destination de quelques principales villes touristiques malgaches permettant ainsi de capter cette clientèle réunionnaise qui, à l’heure actuelle, continue de privilégier l’Île Maurice. D’autre part, les aéroports i n t e r n a t i o n a u x d ’ Iv a t o (Antananarivo) et Fascène (Nosy Be) sont en totale rénovation. On évitera d’évoquer ceux qui ne sont plus accessibles qu’à des ATR tels celui de Maroantsetra, aux portes du plus vaste Parc National malgache qu’est le Cap Masoala, ou bien encore Sambava…
A l’image de l’ensemble des outils qui devraient contribuer au développement du pays, l’État des infrastructures de tous types ne concourent qu’à le tirer vers le bas. Sans une politique cohérente d’entretien et une vision à long terme de l’aménagement du territoire, les grands argentiers continueront à s’épuiser en pure perte afin d’éviter que ces infrastructures ne rejoignent le lot des parents pauvres d’un pays de plus en plus sous-équipé.
Richard Bohan
Source : Mémento « Spécial Madagascar » février 2018
http://www.agencepresse-oi.com/infrastructures-et-transport-les-parents-pauvres-du-developpement/