Conte: Les lépreuses

Publié le par Alain GYRE

 

Les lépreuses

Fabliau merina

 

Recueilli à Tsinjoarivo (province de Tananarive).

 

Andriambahoaka du centre épousa, dit-on, une très belle femme appelée Rasoamberomanga.

 Après plusieurs années de mariage, celle-ci enfanta une ravissante fille qu’on nomma Izazamianta.

Comme l’indiquait son nom, on ne savait rien refuser à cette enfant, tous ses désirs étaient réalisés.

Elle avait à côté d’elle des femmes chargées de l’élever et de l’accompagner partout. Or ces femmes étaient très rusées; lorsqu'elles voulaient dépenser de l’argent pour leurs propres plaisirs, elles disaient à Zazamianta :

« Mignonne, s’il est vrai qu’on vous accorde tout ce que vous voulez, demandez à votre père telle ou telle somme pour acheter toute espèce de choses. »

Et Zazamianta n’hésitait pas à envoyer une de ses servantes demander de l’argent à son père, qui ne savait pas le lui refuser.

Un jour, les servantes lui dirent : « S’il est vrai, maîtresse, que vos parents vous aiment beaucoup, demandez-leur de nous creuser un étang au milieu du village pour nous y baigner. Dites-leur aussi d’y faire mettre des caïmans pour nous récréer. »

Andriambahoaka fit creuser l'étang et y fit apporter quelques caïmans. Mais ceux- ci se multiplièrent et mangèrent les animaux et même les personnes qui venaient au bord de l’étang.

Les menakely d’Andriambahoaka, qui détestaient Zazamianta, se plaignirent alors et dirent au roi :

« Qui préfères-tu, de ton peuple ou de ta fille ? Nous voilà devenus de pauvres gens : les caïmans du lac mangent nos animaux et même nos enfants et nos femmes. Il faut choisir entre ta fille et nous. »

Andriambahoaka, fort embarrassé, ne disait mot : dire qu’il préférait sa fille, c'était pousser ses menakely à la révolte et perdre son trône; dire qu’il aimait mieux ses menakely, c'était livrer à la mort sa fille unique et chérie. Longtemps, les deux sentiments se combattirent dans son cœur.

Enfin il se décida à rejeter sa fille et à donner la préférence à son peuple. Dès que les menakely entendirent ces paroles, ils se réunirent pour tuer Zazamianta.

Heureusement, une de ses femmes était présente. Elle avait tout entendu et apporta la mauvaise nouvelle à sa maîtresse. Aussitôt Zazamianta et ses femmes s’enfuirent pour se cacher des menakely, et, de peur d’étre reconnues, elles enveloppèrent leur visage avec l'écorce de l'arbre appelé amihana, qui ressemble tout à fait à la peau des lépreux.

De plus, elles se mirent à parler à la façon des lépreux. Tous les habitants des villages où elles passaient étaient stupéfaits de voir une si grande foule de lépreuses. Lorsqu’elles demandaient l'hospitalité dans une maison pour manger et dormir, les gens étaient étonnés de leur voir de la vaisselle d’argent, qu’elles avaient emporté de chez Andriambahoaka. Il fallait être riches pour avoir des plats pareils.

« Vous êtes des voleuses, leur disaient les habitants. Vous n’avez pas pu gagner ces plats d'argent. »

« Non, nous ne sommes pas des voleuses, répondirent-elles, nous travaillons pour les autres, afin de gagner de quoi nous nourrir.»

Enfin, après quelques jours de marche, elles arrivèrent dans le royaume d’Andriambahoaka de 1 Est. Elles demandèrent au roi un coin de terre pour s’y établir. Il leur donna un terrain assez éloigné de son village, car il craignait la contagion de la lèpre.

Au bout de quelques jours, un des habitants du village voisin, qui les espionnait, fut surpris, un soir, pendant qu’elles soupaient, de voir leur jolie figure, si différente de ce qu’elle était pendant le jour. Il fut plus étonné encore d'apercevoir devant la plus jeune d’entre elles un certain nombre de plats d’argent.

Cet homme alla raconter au roi tout ce qu’il avait observé, et Andriambahoaka intrigué se rendit à la maison de ces femmes pour voir ce qu’il en était. Il regarda par les fentes de la porte et vit leur peau propre et jolie. Alors il entra brusquement pour les surprendre : immédiatement toutes sans exception se précipitèrent vers une sobika où elles mettaient les écorces d’arbres qui les faisaient ressembler à des lépreuses.

Andriambahoaka leur demanda pourquoi elles se défiguraient ainsi, et pourquoi elles mettaient tous les plats d’argent devant la plus jeune d’entre elles.

Elles répondirent qu’elles étaient de pauvres filles qui achetaient leur nourriture avec leurs salaires et qu’elles donnaient à cette jeune fille tout ce qu’elle voulait, parce qu’elle était la moins âgée d’entre elles.

« Non, dit Andriambahoaka, dites-moi la vérité, sinon je vous chasserai d’ici, et vous ne pourrez demeurer nulle part dans ma terre.

Nous allons donc te raconter, Seigneur, notre arrivée ici.

Cette jeune fille est l’enfant d’Andriambahoaka du centre. Elle était très gâtée par ses parents, qui satisfaisaient tous ses caprices. » Puis elles racontèrent l'histoire du lac et des caïmans, et les malheurs qui avaient suivi.

« Si c'est la vérité, dit Andriambahoaka de l’Est, ne vous inquiétez plus, car je demande à Zazamianta d’être ma femme. »

 Le roi avait déjà deux femmes; il leur raconta ce qui était arrivé, mais elles ne voulurent pas accepter cette nouvelle venue; il les répudia donc pour épouser Zazamianta.

Après quelques années de mariage, la jeune femme mit au monde un petit garçon.

Lorsque l’enfant eut seize ans, Zazamianta pria son mari de déclarer la guerre à son père, Andriambahoaka du centre.

Andriambahoaka de l'Est annonça à ses sujets qu'il allait entreprendre une expédition, et, quand les soldats furent prêts, on se mit en marche.

Andriambahoaka du centre et sa femme étaient encore en deuil, car ils n’avaient jamais pu se consoler de la perte de leur fille qu’ils croyaient morte.

Arrivée près du village, Zazamianta fit prévenir son père :

« Mon père, ta fille Zazamianta est arrivée pour te déclarer la guerre : prépare-toi. Si toutefois tu préfères ne pas combattre, mon mari, mon fils et moi nous te ferons une visite. »

Les deux époux furent bien surpris en apprenant que leur fille vivait encore. Il leur semblait qu’ils rêvaient; et cependant ils étaient heureux de savoir que Zazamianta n'était pas morte, et ils répondirent:

« Faites donc entrer tout le monde, car nous ne voulons pas combattre avec notre chère tille. Notre joie est au comble en apprenant son arrivée, car nous portions encore son deuil. »

L’envoyé dit tout cela et ils entrèrent dans le village d’Andriambahoaka du centre. On réunit tous les menakely et il y eut un grand festin. Puis Zazaniianta et son mari retournèrent dans leur royaume.

 

Voilà mon grand conte ! Voilà mon petit récit ! S’il n’est pas vrai, ce sont les anciens qui ont menti et non pas moi !

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

 

 

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