Conte: Faralahy

FARALAHY
Conte Marofotsy
Recueilli à Tsaratanana (cercle de Maevatanana).
Deux époux eurent, dit-on, trois fils. Le dernier de ces enfants était paralytique. Très vieux et incapables de gagner leur vie, les deux époux dirent un jour à leurs fils valides:
« Chers enfants, nous sommes las de vous nourrir et nous ne pouvons plus gagner notre vie. A votre tour, vous allez subvenir à nos besoins, puisque vous êtes grands. »
« Nous le voulons bien, répondirent-ils, mais à condition que vous chassiez Faralahy. Lui aussi est votre fils. Pourquoi ne nourrirait-il pas, comme nous, ses parents, et pourquoi serait-il entretenu par les frères élevés avec lui ? »
Les deux époux, émus de pitié, s’écrièrent:
« Mais vous savez bien dans quel état est Faralahy ?
- Nous ne le savons que trop. Il est inutile d’insister. Si vous voulez que nous vous nourrissions, il faut le rejeter. »
Les deux époux étaient bien embarrassés. Rejeter la chair de leur chair leur paraissait impossible, mais garder leur fils, c'était se condamner à mourir de faim tous les trois. Ils se décidèrent donc, bien malgré eux, à rejeter Faralahy.
Auparavant, ils voulurent lui donner le tiers de ce qu’ils possédaient. Un taureau rouge et un coq rouge furent sa part. Puis les deux jeunes gens emportèrent leur frère paralytique pour le perdre dans une grande forêt. Ils le portaient sur leurs épaules, le taureau marchait devant, et le dernier-né tenait le coq sous son bras. Arrivés dans la forêt, les deux hommes firent une petite cabane et y déposèrent leur frère. Ils construisirent également une étable pour le bœuf et un poulailler pour le coq ; puis ils retournèrent chez eux.
Au bout d'un certain temps, Faralahy sentit ses forces diminuer, parce qu'il avait épuisé les faibles provisions laissées par ses frères.
Or, un jour, quelques gardiens des bœufs d'Andriambahoaka, qui cherchaient un bœuf égaré dans la forêt, entendirent un chant de coq. Ils s’approchèrent et, arrivés à peu de distance de la cabane, ils entendirent mugir un bœuf.
Ils se hâtèrent alors, croyant qu’il y avait là un camp de voleurs de bœufs. Lorsqu'ils parurent à la porte de la cabane, Faralahy les fit entrer et les pria de s’asseoir. Il leur conta ses malheurs.
« Je ne suis un homme que de nom ; je me trouve condamné à ne rien faire jamais ; fatigué d’être couché, je me lève ; fatigué d’être levé, je me couche. »
Les chercheurs de bœufs retournèrent chez Andriambahoaka et lui racontèrent leur visite chez le paralytique.
« Moi aussi, s’écria le roi, j’ai été malheureux jadis, sans toutefois être paralytique. Allez prendre ce pauvre homme et amenez le moi. »
Lorsqu'on l’eut cherché, Andriambahoaka lui fit construire une belle maison en bois, avec des places pour son bœuf et pour son coq .
Or, un jour, un marchand d’esclaves arriva chez le roi, lui demandant s’il voulait échanger un esclave contre un taureau rouge et un coq rouge.
« Je n’en ai pas, répondit Andriambahoaka, mais va au nord à cette maison que tu vois là-bas. Tu trouveras peut-être ce que tu cherches.»
Le marchand alla chez le paralytique, qui lui donna, en échange de l’esclave, le bœuf et lecoq rouges.
Au bout d’un certain temps, l’esclave du paralytique fit un jour le sikidy avec des grains de haricot et dit à son maître :
« Viens que je te porte sur mon dos étalions au pied de ce grand arbre. »
Quand ils furent au pied de l’arbre, l’esclave ajouta:
« Monte sur l’arbre.»
Et il l'approcha du tronc,
k Tu te moques du monde, dit le paralytique. Tu sais que je suis perclus et tu veux que je monte sur un arbre.
- Peu importe; je sais ce qui en est ; monte et tu seras guéri immédiatement. »
Le paralytique, convaincu par ces paroles, se mit à monter. A moitié de l'arbre, il se trouva fatigué et cria qu’il allait descendre. Mais l'esclave piqua des sagaies dans le tronc. Le paralytique, effrayé, parvint au sommet avec de grands efforts. Puis son domestique lui dit de descendre, et, quand il fut à quelques mètres du sol, l’autre abattit l’arbre à coups de hache !
En entendant trembler l’arbre, le paralytique sauta en bas et se trouva guéri ; à partir de ce jour, il fut fort et vigoureux.
Ensuite l’esclave fit de nouveau le sikidy et dit .
« Aujourd’hui nous n’avons rien à manger, mais nous allons faire des collets pour la chasse. »
Quand les collets furent prêts, l’esclave dit encore :
« Va tendre ces pièges au bord de l'étang, et apporte la première chose que tu prendras, quelle qu'elle soit. »
Le maître suivit les indications de son domestique; il se rendit au bord de l’étang, tendit le piège, et attendit ; aucun oiseau ne se prit. Après un long temps, un balai se trouva dans le piège et il l’emporta comme l’avait ordonné le sikidy. 11 tendit les pièges une seconde fois ; cette fois il prit une grande caisse qu’il ne pouvait presque pas remuer; dedans il y a\ait deux jeunes filles et un canard sauvage.
Faralahy rapporta chez lui le produit de sa chasse. Tous les deux se partagèrent les jeunes tilles pour en faire leurs femmes. Le chasseur choisit le premier ; il n'osa pas prendre la plus belle et désigna la moins belle. L'esclave dit alors;
« C’est celle-ci qui est noble comme toi. Quant à celle-là, elle est bonne pour moi. »
11 lui donna donc la plus belle et prit l'autre.
Ensuite la femme Andriana dit aux deux hommes;
« Allez chercher une grande plaine, pour que nous y demeurions, car cette habitation ci est malsaine.»
Mais l’esclave seul partit; Faralahy resta avec les deux filles et la caisse où on les avait trouvées. L’esclave ne tarda pas à trouver une grande plaine à l’est du village d’Andriambahoaka et il retourna joyeusement l'annoncer. Tous les quatre partirent alors, les deux hommes portant la caisse sur leurs épaules. La servante emportait le balai et l’Andriana le canard sauvage.
Lorsqu’ils furent arrivés, la fille noble brisa la caisse, et il en sortit des gens, des bœufs, des moutons, des oies et toute espèce d’oiseaux, en très grand nombre.
Andriambahoaka, de son village, entendait les cris des hommes, les meuglements des bœufs, les bêlements des moutons. Il envoya un esclave pour voir ce qui se passait.
Celui-ci revint au bout de peu de temps et annonça au roi que Faralahy le paralytique était devenu fort et vigoureux; il était en outre possesseur de grands biens : c’étaient ses esclaves qui criaient, ses bœufs qui meuglaient, ses moutons qui bêlaient.
« Voyez, dit Andriambahoaka, l’Andriamanitra l'a enrichi!»
Partout on ne parlait que des richesses de Faralahy. Le bruit en arriva jusqu’aux oreilles de ses parents qui lui firent dire :
eViens visiter tes parents, qui t'ont donné le jour.
- Oui, dit le dernier-né, j’y viendrai, qu’on leur dise de préparer un grand repas, car j’aurai beaucoup de monde avec moi. »
L’esclave de Faralahy lui dit ;
« O maître, laisse-moi aller à ta place et reste ici ; de peur que tu ne t’enivres et qu’ils ne te demandent ce que tu as fait pour devenir si riche. Si tu leur réponds que tu as pris ta fortune au piège, nous tomberons dans la plus affreuse pauvreté, et tu seras plus malheureux encore qu’autrefois. »
Faralahy répondit : « Laisse-moi-partir, je ne dirai rien. »
A contre cœur l’esclave le laissa partir.
Faralahy se mit en route, suivi d’un foule d’esclaves, de sa femme et de la servante. Quand ils furent arrivés, la fille Andriana ne voulut pas entrer avec Faralahy, mais elle fit entrer l’esclave pour écouter les paroles de son mari. On commença à causer, et les aînés de Faralahy lui demandèrent :
« Dis donc, F’aralahy, commentas-tu fait pour avoir toutes tes richesses ?
- Quand l’Andriamanitra le veut, tout abonde. »
Alors ils firent boire beaucoup de rhum à leur frère et, quand celui-ci fut ivre, il dit;
« J'ai pris mes biens au piège. »
A ces mots, l’esclave sortit pour prévenir sa maîtresse, et en un instant tous les biens de Faralahy, jusqu'à sa femme, disparurent, parce qu'il avait violé le fady. 11 demeura tout honteux, car même les lambas qu'il portait avaient disparu, et il s’était trouvé couvert de haillons, comme jadis. Quand il fut de retour, son esclave se moqua de lui; cependant, au bout d’un certain temps, il fit de nouveau le sikidy et dit à Faralahy :
« Si tu peux supporter ce que je vais te dire, ta femme et tes richesses te seront rendues, du reste ta vie sera respectée.
- Je supporterai tout ce qu’il faudra, du moment que ma vie sera sauve; dis-moi seulement ce qu’il faut faire.»
«Voici! tu vas te diriger droit vers l'est; une cascade obstruera ton chemin; tu ne te détourneras ni à droite ni à gauche, tu marcheras droit devant toi et tu traverseras la cascade. Tu verras ensuite un champ de bananiers, et tu ne mangeras que les bananes qui ne sont pas mûres. Si tu as soif, tu ne boiras pas de l’eau pure, mais de l’eau sale. Tu rencontreras de grosses bêtes qui se dirigeront vers toi pour te tuer, tu ne prendras pas la fuite, mais tu te défendras seulement avec tes mains. Enfin tu verras un crâne suspendu, à qui tu diras ; « Un grand homme sourit à un petit gamin ! » »
« Aie confiance, répondit joyeusement Faralahy, tout ce que tu me dis sera suivi exactement. «
Et il se mit en route. Il arriva bientôt à une cascade qu’il traversa facilement et passa l’eau pour continuer sa route. 11 arriva ensuite dans un champ de bananiers et il ne mangea que les bananes vertes. Il parvint à un village qu’habitait sa femme : il l’ignorait d’ailleurs. Dans ce village il ne trouva qu’un vieillard. Celui-ci lui demanda ce qu'il venait faire, à quoi Faralahy répondit :
« Je viens chercher ma femme, mais il fait nuit; voulez-vous me donner l’hospitalité?
- Où comptes-tu trouver ta femme, jeune homme ? Et pourquoi la cherches-tu ? Tu l’as donc perdue?
- Je ne sais pas où elle est allée » répondit Faralahy, et il lui raconta son histoire depuis le commencement jusqu’à la fin.
«N'aie pas d’inquiétude, mon enfant, tu verras ta femme. Mais hélas ! j’ai une rizière qui n’est pas labourée. Tous les hommes du village sont pressés de travailler les leurs; moi je suis vieux, et je ne peux plus rien faire. Si tu peux retourner ma rizière, je te rendrai ta femme. Cependant pour être franc, cette rizière est très grande....
- Je la finirai; montre-la moi. »
Tous deux partirent, et Faralahy, quand ils furent arrivés à la rizière, dit au vieillard de s’en retourner.
A peine eut-il tourné les talons, que Faralahy se mit à pleurer. Plusieurs sangliers arrivèrent et lui demandèrent la cause de ses larmes.
Et lorsqu'ils coururent sur lui, Faralahy étendit seulement les mains pour les écarter et leur dit :
« Je pleure, parce qu’à moi tout seul je suis obligé de labourer cette grande rizière.
- Ne t'inquiète point. Aujourd'hui même ce sera fini. »
11 se mirent à piocher avec leur groins et bientôt la rizière fut retournée, l'aralahy leur donna du manioc et ils s’en allèrent.
L,’homme, tout joyeux, retourna au village et dit au vieillard que sa rizière était labourée.
« C'est bien, dit celui-ci, mais un collier de perles est tombé dans cette rivière ; il faut que tu le retrouves pour avoir ta femme. »
Faralahy se mit de nouveau à pleurer; une sarcelle vint et demanda la cause de ses larmes.
« Quand j’étais en route, dit Faralahy, je n’ai pas bu de l’eau pure, mais seulement de l'eau sale, parce que je craignais que tu ne manques d’eau pour te baigner. Or voici qu'un collier de perles est tombé dans cette rivière et il faut que je le retrouve pour qu'on me rende ma femme.
- N’aie pas peur, tu l'auras. »
Et la sarcelle, plongeant dans l’eau, ramena les perles. Faralahy les apporta au vieillard.
« C’est bien, dit celui-ci, mais deux mesures de riz sont tombées dans ce vero ; si tu peux les ramasser, je te rendrai ta femme. »
Des fody arrivèrent et Faralahy leur dit :
« Ce qui fait qu’en route je n’ai pas touché aux bananes mûres mais seulement aux vertes, c’est que je voulais les laisser pour vous. Maintenant je pleure, parce qu’il me faut ramasser deux mesures de riz tombé dans ce vero. »
Les fody ramassèrent le riz. Quand tous les travaux imposés par le vieillard furent accomplis, les richesses de la femme Andriana revinrent toutes chez Faralahy et sa femme elle-même l'attendait, toute joyeuse.
Pourtant elle n’était pas encore à lui, car une dernière épreuve vint à la pensée du vieillard.
« Tu auras ta femme, mais à la condition de me désigner le premier-né de tous mes bœufs.
- Assemble donc le Fokonolona, dit Faralahy, pour me voir désigner ton bœuf premier-né. »
Cela dit, P'aralahy pleura encore, mais un tihiira le consola en lui disant;
« Regarde-moi bien, le bœuf que je piquerai et qui bondira dans le parc, sera le premier-né. »
Quand le Fokonolona fut rassemblé, le vieillard proclama les conventions faites : un bœuf, à ce moment, se mit en fureur;
Faralahy le désigna pour le premier-né, et tout le monde l’acclama parce qu’il avait trouvé juste.
«Viens donc reprendre ta femme, » dit le vieillard.
Faralahy entra dans la maison et vit deux femmes, la mère et la fille, qui se ressemblaient absolument.
Aussitôt il s’écria ; « Laissez-moi sortir un peu il fait trop chaud dans cette maison. »
Arrivé dans la cour, il pleura comme il avait déjà fait.
Une mouche lui demanda ce qu’il avait et il conta son embarras.
‘ N’aie pas peur, dit la mouche; regarde-moi bien : celle sur le front de qui je me poserai sera ta femme. »
Alors Faralahy rentra en souriant : une mouche était déjà posée sur le front de la jeune Andriana.
«La voici! » s’écria joyeusement Faralahy.
Cette fois, l’Andriana lui fut rendue. Elle appela sa servante et tous trois se mirent en route.
Avant leur départ, les parents de la jeune fille dirent à Faralahy ;
« Maintenant elle est ta femme pour jamais et ne peut plus te quitter. »
Arrivés chez eux, ils furent aussi riches qu’auparavant. Les parents et les frères de Faralahy lui demandèrent encore de leur rendre visite ; le dernier-né consentit et leur recommanda de préparer un grand repas. 11 emmena avec lui sa femme et un grand nombre d’esclaves. Ses parents lui donnèrent beaucoup de rhum et il fut bientôt complètement ivre. Alors ils lui demandèrent comment il était devenu si riche.
« Ma fortune et ma femme, je les ai prises au piège. Elles m’ont aimé, m’aiment et m’aimeront toujours. Jamais elles ne pourront me quitter, quelles que soient les mauvaises paroles des envieux. Elles demeureront immuablement avec moi. »
Et Faralahy, en prononçant ces paroles. quitta dédaigneusement ses frères.
Arrivée à la porte, la jeune Andriana secoua sa robe et tout ce que possédaient les frères de Faralahy disparut soudain. Les deux frères,qui avaient perdu Faralahy dans la forêt sombre, furent couverts de plaies.
Contes de Madagascar
Charles RENEL
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