Conte: Andriamamakimpoetra

Publié le par Alain GYRE

Andriamamakimpoetra

Conte Tanala

Recueilli à laborano (province de Farafangana).

 

Un homme appelé Andrianonibé avait épousé, dit-on, une jeune femme, qui ne tarda pas à devenir enceinte.

Or l'enfant qu'elle portait parlait déjà dans le ventre de sa mère; au moment de sa naissance, il perça le nombril maternel, et c'est par là qu'il vint au monde. Il dit aussitôt devant les gens assemblés dans la case ;

« Je n'ai pas été fait par le Zanahary, car, au moment où ma mère m’a enfanté, je suis sorti de son nombril; aussi je porterai le nom de Andriamamakimpoetra (l’Andriana-qui-perce-le-nombril) « .

Puis il fit convoquer le peuple, ordonna qu'on le suivît, et sz mit à gravir une haute montagne ; au sommet il ramassa un tas de fagots; il avait amené aussi un bœuf qu'il sacrifia. Puis il enflamma les fagots et ordonna aux assistants de rôtir les quartiers de viande à ce foyer : une fumée intense et noire monta vers le ciel ; au bout de quelques instants elle aveugla le fils du Zanahary, et celui-ci envoya son messager nomméIpapangobemavo pour en voir la cause.

Arrivé auprès de Andriamamakimpoetra, le messager lui enjoignit, de la part du Zanahary, d'éteindre le plus vite possible son feu; mais l’homme refusa, s'écriant avec colère ;

« Va retrouver ton maître et dis-lui que je ne veux pas suivre ses ordres, car ce n’est pas lui qui m’a fait. Donc je n’éteindrai pas ce feu, car c’est moi qui suis sorti du nombril de ma mère, et je m’appelle Andriamamakimpoetra.

Le Zanahary a-t-il jamais vu quelque part un homme portant ce nom ?

- « Soit, répondit Ipapangobemavo, je vais porter tes paroles au Zanahary. »

 Puis il quitta Andrianîamakimpoetra, remonta en volant vers le ciel, et raconta au Zanahary tout ce que lui avait dit l’Andriana.

Le dieu se mit fort en colère et de nouveau envoya son messager vers la terre. Ipapangobemavo portait cette fois un gros os de bœuf; arrivé près du grand feu qui brûlait, il parla ainsi :

« O Andriamamakimpoetra, toi qui te dis sorti, en le fendant, du nombril de ta mère, s’il est vrai que tu n’as pas été fait par le Zanahary, il faut que tu transformes l’os que voici en un bœuf vivant. »

- « Volontiers, répondit l'autre. 11 prit l'os, fit cuire dans une marmite du riz, auquel il mélangea des ody. Dès que l'eau commença à bouillir, l'os se transforma en un petit veau qui beuglait; et, lorsque le riz fut cuit, le veau était devenu un grand taureau qui s'en fut en mugissant vers le parc-à-bœufs. Ipapangobemavo, après avoir vu ce qui s’était passé, retourna chez son maitre.

Le Zanahary, de plus en plus furieux, le renvoya avec un os de poulet et une feuille de bananier, que Andriamamakimpoetra devait changer en un coq et en un bananier chargé de fruits mûrs.

L'andriana fit de nouveau cuire du riz, dans lequel il avait mis des ody. Quand le riz écuma, l’os de poulet se transforma en poussin et la feuille en jeune bananier. Lorsque le riz fut cuit, le poussin était un gros coq, et le bananier portait un régime de bananes mûres. Le messager s'envola aussitôt pour rapporter au dieu ce qui s’était passé.

Le Zanahary, stupéfait et confondu, chargea Ipapangobemavo de présenter à l’Andriana une canne en or et de lui demander quelle en était l’extrémité inférieure et l’extrémité supérieure.

Or la canne était de la même grosseur dans toute sa longueur.

Quand Andrimamakimpoetra l’eut entre les mains, il la jeta en l'air et réussit â et distinguer les deux extrémités.

Cette fois le Zanahary ne sut plus que faire; très embarrassé, il quitta le ciel pour venir trouver Andriamamakimpoetra. Au moment où il descendait sur la terre, il fit tout à coup très noir dans le village de l’Andriana, de sorte que les habitants, en plein jour, ne voyaient plus rien. De plus il y eut de grands éclairs et de terribles coups de tonnerre, qui épouvantaient tout le monde.

L'Andriana seul n’avait peur de rien, et se réjouissait fort de ce bruit. Il se contenta de sortir de sa case, au milieu des éclairs menaçants ; mais il tenait à la main un ody qu'il dirigeait successivement vers les quatre points cardinaux, de sorte que la foudre se détourna sans lui faire aucun mal. A la fin il s'écria : « O Zanahary, descends sur la terre, si telle est ta volonté; mais cesse de faire peur aux habitants de ce pays. »

Alors le Zanahary descendit devant la case d’Andriamamakimpoetra et lui dit ;

« Partons ensemble, si tu veux, dans un pays très éloigné de ta demeure ; nous rivaliserons de ruse et d’adresse, puisque tu nies avoir été fait par moi. »

- " Volontiers! répon¬ dit l’Andriana. Allons donc!»

Et tous deux se mirent en route.

Peu de temps après le Zanahary prit l’avance et, dès qu’il fut hors de vue, il se transforma en une large fontaine jaillissante, au bord de laquelle croissait un grand nombre d’arbres fruitiers chargés de beaux fruits. Tous les passants s’arrêtaient pour boire l'eau de cette source, goûter les fruits succulents et se reposer à l'abri des frais ombrages.

Andriamamakimpoetra s’approcha comme les autres de cette fontaine pour calmer sa soif, mais il reconnut aussitôt que c’était leZanahary et dit ;

 « Lève- toi donc, Zanahary, je te reconnais bien ! Allons! Viens! Continuons notre voyage, car ce n’est pas moi qui te boirai jamais! »

De son côté, l’Andriana prit alors les devants, et, quand il fut hors de vue, il devint un citronnier sauvage chargé de fruits.

Le Zanahary, lorsqu'il vit cet arbre, allait cueillir les citrons, mais il s’aperçut que c'était Andriamamakimpoeira qui avait changé de forme et s'écria :

« Allons ! Mettons-nous en route ! Ne songe pas à te cacher de moi, j’ai bien vu que c’était toi ce citronnier! »

Le dieu devança de nouveau l’Andriana ; à une certaine distance, il devint une grande plaine, avec une récolte de riz suffisante pour qu'une grande multitude d'hommes pussent amasser des grains suffisamment pour cultiver toute leur vie. Il y avait aussi dans cette plaine des bœufs et des poules. Et c’est depuis cette époque que les hommes connaissent le riz, les citronniers et élèvent bœufs et poules comme des animaux domestiques.

Mais Andriamamakimpoetra reconnut le Zanahary; à son tour, il prit l’avance et se transforma en un gros village, formé de cases nombreuses et occupé par de riches habitants; et dans ce village vivaient trois belles femmes.

Le dieu se mit à la recherche de l’Andriana, mais ne réussit pas à le trouver.

Or, au bout d'un mois, il atteignit le beau village, s’y arrêta, et prit pour épouse l’une des trois femmes. Celle-ci, après quelque temps, fut enceinte.

Elle eut une envie et désira manger du rat. Elle pria donc son mari de lui en chercher. Celui-ci se transforma en chat et s’introduisit sous le plancher en rapaka pour chasser.

11 ne lui fallut que quelques minutes pour attraper quatre rats qu’il apporta aussitôt à sa femme. Elle brûla au feu du foyer les poils de ces quatre rats, et, quand ils furent échaudés, elle les coupa en morceaux qu’elle fit cuire.

Mais elle-même n'en mangea point, elle les donna à manger au Zanahary. Quelques mois plus tard, elle mit un enfant au monde.

Le Zanahary était tout joyeux, mais voici qu’au moment de l’accouchement le nouveau-né parla :

« Je m’appelle Fanihy (i), car je ne suis pas le fils du Zanahary. Mais c’est moi Andriamaniakiinpoetra, que le Zanahary cherche depuis si longtemps, sans pouvoir le trouver ».

Puis l’enfant se leva et se mit a marcher, en se moquant de Zanahary :

«  Je t’ai fait manger des rats et tu en as mangé. N’est-ce pas une preuve suffisante que je n’ai pas été fait par toi? »

Alors le dieu, tout confus, s’en retourna tristement chez lui.

Mais il continuait d’en vouloir à l’Andriana; aujourd’hui encore, lorsqu’il est en colère, il tonne et fait pleuvoir, et c’est signe qu’il se fâche contre Andriamamakimpoetra.

Quant à celui-ci, il n’a pas été fait, dit-on, par le Zanahary : il s’est formé lui-méme.

C’est du temps d’Andriamamakimpoetra que les hommes ont obtenu les ody varatra (les amulettes contre la foudre), dont les Tanala se servent encore pour se protéger, eux et leurs cases.

 

i) Nom de la Roussette, sorte de grosse chauve-souris (Pteropus vulgaris).

 

Contes de Madagascar

Charles RENEL

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