2012-07-05 Un droit de duel régicide

Publié le par Alain GYRE

Un droit de duel régicide

Incroyable mais il en est ainsi. Un litige d’importance moyenne dégénère vite en affaire d’État qui se conclut par un régicide. En 1863, un projet jugé des plus saugrenus et surtout d’anticonformiste naît dans l’esprit de Radama II. Ce projet lui vient quand Rabe­tsarazaka, « Ministra Menamaso » (compagnons de plaisir du souverain auxquels il confie l’administration des affaires du royaume aux dépens du parti conservateur) défend aux soldats de présenter les armes au passage de Rainivonihatriniony (Raharo). Se sentant insulté, le Premier mi­nistre se plaint au monarque qui décide que l’affaire se règlera en duel. Il en fait une loi sur le « droit de duel » qu’il veut insérer dans le code civil. Une affaire qui vient se greffer aux problèmes déjà posés par la Charte Lambert.
Début mai, comme à son habitude Radama II se détend à Miadamafana, à Ambohimitsim­bina, quartier proche du Rova d’Antananarivo. Raharo et ses partisans du vieux parti conservateur hova, en présence de la princesse Rabodozanakandriana, future Rasoheriman­jaka, trament un traquenard pour faire tomber les Menamaso et, peut-être, la personne du roi mais sans que son nom soit prononcé. La princesse Rabodo devait se porter malade et prétexter la nécessité de s’éloigner du Palais (hiala sikidy) pendant que l’opération sera menée.
Informé de son intention de s’absenter pendant trois mois, Radama lui refuse son autorisation, d’autant que « les maladies sont nombreuses ». Depuis le mois de mars, en effet, une étrange épidémie de convulsion « ramanenjana » éclate dans la capitale et atteint son paroxysme. Certains historiens présument que ce n’est qu’un stratagème monté par le vieux parti hova pour dénigrer les Menamaso. En outre, il semble au roi que les raisons invoquées par son épouse ne sont pas très convaincantes. Mais devant l’insistance de la princesse, il s’y plie et le voyage est prévu pour le samedi 9 mai.
La veille de son départ, accompagné de six Grands du royaume, Raharo sollicite une audience au roi pour « s’enquérir des affaires de l’État » (« Tantara ny Andriana », R.P. Callet).
« Je ne gouverne pas seul, répond Radama. Si vous avez de nouvelles idées pour améliorer mon règne, pour rendre heureux le peuple, dites-le ». Le Premier ministre lui demande alors de supprimer cette loi sur le duel et de dissoudre le cercle des Menamaso. Mais Radama refuse malgré une heure de supplications de Raharo et le congédie sur un avertissement :
« N’usurpez pas le pouvoir d’autrui, car le ciel vous fera subir un traitement analogue ».
Le Premier ministre s’en tient pour quitte envers le respect suprême dû au souverain et se retire. Il se réunit toute la nuit dans sa résidence avec sa suite pour mettre au point la tactique à adopter dès le lendemain. Vers
6 heures, les comploteurs envoient des soldats dans toute la ville pour mener la chasse aux Mena­maso et en tuent neuf. À 10 heures, attristé et en colère Radama se retire à Ambohi­mitsimbina. Des émissaires armés sont envoyés par Raharo que la princesse Rabodo essaie d’amadouer pour qu’il arrête le massacre, mais en vain. Au retour de ses messagers et en apprenant la réaction du roi éploré, Raharo entre à son tour dans une grande rage « jusqu’à en déchirer ses vêtements ». Il lui renvoie ses messagers pour dire que « les morts sont avec les morts, mais les vivants servent toujours le roi ». Réponse de ce dernier : « Je ne règne pas les mains ensanglantées ! » À
16 heures, il rentre au Palais.
Le dimanche, d’autres Mena­maso sont extirpés du Rova. L’après-midi, Raharo dépêche d’abord au Palais ses sbires qui reviennent avec la bénédiction du roi, puis des soldats commandés par Ravelonanosy qui arrête tout, arrivé à Andohalo, stupéfait d’apprendre la raison d’un tel déploiement de force.
Durant toute la journée du lundi 11 mai, les menaces du Premier ministre ne cessent de parvenir au roi : « Sortez les criminels sinon nous détruirons le Palais de Manjakamiadana ». Le
12 mai à 14 heures, 200 soldats arrivent « pour protéger le roi et s’emparer des derniers criminels ». Le couple royal et sa suite sont déplacés dans une petite dépendance. À
19 heures, 16 officiers et soldats viennent prendre la relève. Radama sait qu’ils vont le tuer, effectivement, ils l’étranglent.
La future Rasoherina est installée à Tsarahafatra avant qu’on emmène le corps du défunt roi à Ilafy où il sera « caché » de nuit, en cachette, sans les honneurs qui lui sont dus : son sabre, celui de son père, son fusil, sa tenue militaire et sa tenue d’apparat constituent les seuls symboles royaux qui l’accompagnent dans son dernier voyage.

Pela Ravalitera

Jeudi 05 juillet 2012

L’Express

Publié dans Notes du passé

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