2012-07-25 Baptême électoral célébré dans la liesse
Baptême électoral célébré dans la liesse
«Curieux phénomènes que les phases successives par lesquelles s’affirme une évolution indigène. Qui aurait pensé, il y a seulement cinquante ans, que Madagascar connaîtrait l’activité des campagnes électorales Peuple jadis soumis à l’absolutisme des rois, ce fut avec une visible émotion que les Malgaches ont, pour la première fois, apprécié la liberté de votes et la joie d’exprimer sans contrainte leur suffrage » (J.-F. B., chroniqueur « La Revue de Madagascar », juillet 1938).
En fait, il s’agit d’un baptême électoral pour 19 000 hommes, citoyens français d’origine malgache qui doivent désigner un délégué autochtone au Conseil supérieur de la France d’Outre-mer. Ce dimanche 14 mai 1938 aura ainsi ouvert dans les annales politiques du pays une ère décisive et, dès le matin, « les anciens sujets d’Andrianampoinimerina » entrent résolument dans la pratique républicaine.
Déjà, plusieurs semaines auparavant, la bataille s’est engagée, vive, entre les partisans des candidats. Propagande, rivalité, revendications, conférences, polémiques, rien n’y manque, tout s’amalgame. « Les conflits d’idées et de programmes animent le ton de la presse indigène, tandis que, dans la rue, des affiches aux couleurs voyantes frappent les yeux. À en croire que la capitale malgache était devenue subitement un centre où s’élaborait quelque épisode important de la vie des démocrates modernes ».
Ce jour-là, Antananarivo prend un air de fête, les principales avenues s’emplissent d’une foule élégante qui déferle vers le lac Anosy. « Pourquoi tous ces drapeaux, ces guirlandes sous le radieux soleil de l’Imerina Pur hasard : les opérations bureaucratiques ont voulu que ce baptême électoral coïncide avec la fête de Jeanne d’Arc, patronne des Français ! ».
Dès la première heure, quelques électeurs prévoyants déposent leur bulletin. Mais les amateurs de spectacle préfèrent d’abord assister à la revue des troupes qui se déroule « dans le cadre grandiose du cirque de Mahamasina ». Quand la dernière section disparaît au coin du lac, les électeurs se dirigent vers la Mairie « où les miliciens bleus à chéchia rouge, l’arme en bandoulières, montent une garde pacifique ».
Les premiers arrivés se pressent et s’avancent « d’un air grave » vers l’urne « où se joue l’élément essentiel du drame. Avec quelle dignité, quelle conviction, quelle compréhension ont-ils accompli leur geste Beaucoup de citoyens seront sans doute étonnés de l’apprendre ». Il semble que, devant l’urne, les électeurs aient oublié tout sujet de division qui, « hier encore, enflammait les colonnes des journaux. Chacun vote silencieusement, pénétré de la valeur de son acte ».
Pas la moindre agitation. Pas de manifestations tumultueuses. Pas de ces partisans ni de leaders aux affirmations « d’autant plus passionnées qu’elles se révèlent d’une importance médiocre ». Toute la journée se déroule ainsi. En bordure de l’avenue Fallières « les pergolas abritent les belles Hova vêtues de soie : celles-ci déambulent, nonchalantes, sous la grâce de leur ombrelle japonaise ; celles-là, curieuses, interrogent leur mari qui revient de l’Hôtel de ville ».
À 20 heures, les abords de la mairie sont envahis par « plus de 7 000 personnes » qui attendent calmes, mais impatientes de connaître les résultats du scrutin. Une heure plus tard, une ovation formidable accueille la proclamation des votes : triomphe du pasteur Ravelojaona, ex-adjudant de la Grande guerre, qui a su rallier autour de sa candidature 11 329 voix sur 14 002 suffrages exprimés. « Spontané, avec la soudaineté de l’éclair, un chant jaillit des poitrines, grave et puissant : La Marseillaise ! ».
Spontanément aussi, des rangs se forment. Le défilé commence. « Vive la France ! » C’est le cri répété qui se répercute dans le silence de la nuit. Devant la Résidence à Ambohitsorohitra, les manifestants reprennent l’hymne national, acclament le ministre des Colonies, le gouverneur général et l’élu, dans un même enthousiasme.
La foule ne se disperse qu’à une heure avancée de la nuit. Et « le spectateur emporte la vision d’une race acquise pour toujours aux nobles principes de liberté, d’égalité et de fraternité (…) Et jamais occasion n’a paru plus belle d’admirer la douceur, l’aménité du caractère malgache».
Pela Ravalitera
Mercredi 25 juillet 2012
L’Express