Ranavalona III, symbole de la nationalité malgache
Ranavalona III, symbole de la nationalité malgache
13.05.2014
Notes du passé
Face au vœu du Conseil général de la Seine pour que l’ancienne reine de Madagascar, Ranavalona III ait la liberté de séjourner où elle voudra sur le territoire de la République française, le général Gallieni demande l’avis de Julien, chef du bureau de presse à Antananarivo, et du Dr Lacaze, chef de la province de Fianarantsoa.
Selon Maurice Gontard en 1962, autant celui de Julien est nuancé (lire précédente Note) autant celui du Dr Lacaze est net et catégorique. Il martèle qu’il n’y aura que des « inconvénients » à laisser à la reine une liberté quelconque. Le Dr Lacaze « le démontrait dans une lettre d’une rigueur logique impitoyable où il s’inspirait uniquement de considérations tirées de l’intérêt national ».
Il repousse d’abord l’installation en France. « La pleine liberté donnée en France à l’ancienne souveraine sera pour elle, avant tout, un moyen de solliciter et de préparer si possible son retour à Madagascar, pour préciser à Tananarive. » D’après le Dr Lacaze, partout où elle résidera, elle se trouvera en exil, « sauf dans la ville où sont les tombeaux de ses ancêtres ».
Mais, deuxième point, les conséquences d’une installation à Antananarivo seraient « fâcheuses ». Le chef de la province de Fianarantsoa passe alors en revue « quelques suites possibles de l’évènement ». Il commence par les répercussions que cela aurait « au point de vue malgache ». Primo, argumente-t-il, la présence de la reine compromettrait la domination française en entretenant le nationalisme malgache. Il y a donc un risque de voir se renforcer peu ou prou les tendances qui, consciemment ou non, « retardent l’union de tous les éléments de la population de l’Emyrne dans un attachement réel à leur nouvelle patrie ».
Développant son argumentation, le Dr Lacaze indique que si le passé historique merina est court, il n’est pas pour autant nul. Les Merina doivent à la race royale dépossédée en 1895, le bienfait de l’unification, de l’organisation de l’Imerina, de la fin des guerres civiles. C’est le grand mérite d’Andrianampoinimerina. « Le souvenir de cet ancêtre est assez vivace pour que nous-mêmes ayons parfois utilisé le prestige persistant de son nom dans nos allocutions officielles. » Il est de ce fait difficile pour les Merina d’oublier soudain que Ranavalona tient de très près à l’aïeul vénéré, « uniquement parce qu’elle passera dans les rues de Tananarive sans le parasol rouge et le manteau royal » !
En outre, « les Hova ont été la tribu conquérante de l’île ». Dans tous les domaines, ils retirent de cette situation politique des avantages dont ont surtout bénéficié l’aristocratie et la bourgeoisie de l’Imerina. En 1895, les conquérants français appellent en Imerina les officiers de la reine qui ont été favorisés de ces commandements côtiers et de tous les profits commerciaux, agricoles, parfois industriels qu’ils en ont retirés. La plupart d’entre eux comme les commerçants qui ont joui, grâce à eux, d’une situation privilégiée, se retrouvent dans la capitale où ils ne retrouvent pas les avantages perdus, faisant d’eux des mécontents prêts à profiter de la présence de la souveraine.
Enfin, toujours selon le Dr Lacaze,« quoique ceci s’applique seulement à une élite, il y a eu chez quelques Hova le sentiment d’une nationalité malgache. Confus, inconscient, inexistant si l’on veut avant les guerres de conquête, il s’était depuis précisé sous l’influence anglaise » qui veut faire de Madagascar « devenue hova » un Japon africain.
D’après le chef de la province de Fianarantsoa, de 1868 à 1895, aux yeux de l’élite merina et même de l’Europe, Madagascar indépendant prend figure de nationalité reconnue. À preuve, la vive discussion du texte et de la portée du traité de 1885, les résistances ouvertes ou latentes que rencontre son application « traduisent-elles autre chose que la répugnance du parti hova à l’aliénation même partielle de sa nationalité » Le Dr Lacaze se demande s’il peut exister une autre cause et une autre signification à la guerre de 1895 et l’insurrection qui la prolonge en 1896.
« C’est dans les quatorze années de règne de Ranavalona III que le nationalisme malgache s’affirme, s’épanouit, s’effondre. A son nom, à sa personne se sont attachés des espoirs déçus maintenant et des regrets peut-être persistants quoique profondément dissimulés. »
L’Express