2014-07-16 Les paysans sans terre face aux grands propriétaires terriens
Les paysans sans terre face aux grands propriétaires terriens
16.07.2014
Notes du passé
Si un salarié ou un journalier travaille chez autrui, c’est parce qu’il lui manque tout. D’après une enquête menée dans l’Anony-Lac Alaotra dans les années 1960, (lire précédentes Notes), il est même astreint à des services personnels sans contrepartie économique « objectivement » suffisante.
Selon Paul Ottino, chercheur à l’Orstom, ils « mettent en lumière le déséquilibre de la société de l’Anony, l’asymétrie des rapports sociaux et les phénomènes de domination ».
Depuis l’Indépendance, les moyens de pression qui pèsent sur ces travailleurs sont d’abord économiques. « L’influence des réseaux de domination est d’autant plus profonde que ces réseaux ne sont pas concurrents entre eux. » La situation de dénuement des paysans sans terre renforce davantage cette domination et « le complexe de dépendance dont font preuve les paysans eux-mêmes ».
Paul Ottino ajoute : « Les marques de respect extérieur, l’attitude dont les paysans font montre pendant les réunions sont révélatrices. » Il mentionne que les « assujettis aux services personnels» sont de deux sortes : les paysans qui ne possèdent ni terre ni matériel ; et les ruraux qui ont une parcelle de terrain mais pas de matériel.
Lorsque le travailleur redoute les aléas propres au salariat et aux périodes de chômage forcé, il recherche un « patron ». Avec sa famille, il travaille toute l’année sur les terres d’un propriétaire qui, en échange, lui donne la jouissance entière d’une petite parcelle et l’autorise à utiliser son matériel (charrue attelée, herse…). Les services rendus considérés comme la contrepartie de l’usufruit du lopin de terre sur lequel il plante le riz rouge qui lui permet de subsister, ne donnent pas droit à rémunération.
Il est cependant nourri quand il travaille sur les terres du propriétaire et reçoit, « conformément à la coutume », quelques mesures de paddy à l’occasion des grands travaux culturaux (repiquage, sarclage, moisson et battage). Mais ce n’est pas une règle car des gens très gênés (« poritra ») sont parfois obligés d’accepter cette situation et, depuis 1960-61, ce genre de rapport se normalise.
Pour conserver leurs travailleurs, en particulier les éléments jeunes, les propriétaires acceptent de leur donner en plus de la parcelle de « subsistance », une autre plus importante exploitée en métayage mi-partie, les métayers pouvant utiliser le matériel du propriétaire, mais fournissant eux-mêmes les semences.
Le « matériel » agricole consiste en des bœufs piétineurs ou des bœufs dressés pouvant être attelés à une charrue ou à une herse. Les animaux interviennent à deux reprises au cours de la campagne rizicole : lors de la plantation- bœufs de piétinage ou bœufs attelés (six à huit par charrue)- et au moment du battage ; ou encore, comme il est d’usage en pays sihanaka, les bœufs sont utilisés au piétinage des gerbes.
Certains paysans travailleurs acceptent de garder les troupeaux de bœufs toute l’année afin de pouvoir les utiliser lors du piétinage. Ce travail est réservé aux jeunes gens qui en retirent quelques avantages car il est nourri et « ses impôts sont à la charge du propriétaire du troupeau ».
Le paysan qui ne possède pas de matériel aratoire ni d’attelage de bœufs dressés et ne pouvant pas payer en espèces le prix de la location, paie en journées de travail. C’est également le cas de bon nombre de paysans emprunteurs qui doivent prêter la main à l’occasion de toutes les opérations culturales.
« Cette pratique est d’autant plus préjudiciable que travaillant d’abord sur les champs du propriétaire du matériel, il se trouve lui-même fréquemment en retard. » Et sa rizière envahie de mauvaises herbes au moment des semailles, ajoutée au semis tardif, donne de mauvais rendements.
Pela Ravalitera
L’Express