Conte: Soyons moins bavards

Soyons moins bavards
Trop parler nuit : l’histoire de Ramanampeheloha va nous le prouver.
Un roi avait perdu sa chèvre. On connaît la chèvre, cet animal petit malin, aux yeux vifs, à la barbiche frisée, aux cornes recourbées, qui cherche, toujours, à envoyer de bons coups bien placés.
La chèvre du roi était donc perdue. On la chercha partout, on ne la trouva point.
« Ma bouche est pleine de poils de chèvre », dit Ramanampeheloha à un de ses amis. On colporta la nouvelle. La plaisanterie provoqua des soupçons. Le roi convoqua Ramanampeheloha.
— C’est toi qui as volé ma chèvre ? lui demanda le roi.
— Moi ?
— Oui.
Ramanampeheloha nia les faits. Le roi insista. Les devins, aussitôt mandés, arrivèrent. On leur exposa les faits. Ils conduisirent Ramanampeheloha au bord de l’eau, et tous les crocodiles des environs arrivèrent promptement. Spectacle des plus effroyables ! Imaginez mille deux cents crocodiles qui vous regardent de leurs deux mille quatre cents yeux, qui ouvrent devant vous mille deux cents bouches géantes, et qui attendent.
Les devins déclarèrent :
— Va dans l’eau, Ramanampeheloha ; si tu es innocent, tu peux être tranquille, les crocodiles ne te feront pas de mal.
Ramanampeheloha se mit à trembler. Qui n’aurait pas tremblé ?
— Je vais plutôt payer la chèvre du roi, dit-il.
Il paya la chèvre, avec neufs bœufs gros et gras.
Des années ont passé. Le roi est mort, les devins sont morts. On a, enfin, appris qui a volé la chèvre du roi. Ce n’était point Ramanampeheloha. Tant pis.
Quant à vous, paysans Tsimihety, retenez bien cette légende. Je sais que, quand vous revenez de vos travaux, vous aimez un peu trop les plaisanteries. Vous parlez politique, ménage, affaire. Chaque sujet vous est familier. Vous savez tout. Maintenant, attention ! Trop parler nuit