Début du règne des femmes à Madagascar.

Début du règne des femmes à Madagascar.
Recueilli à Nato de Vohipéno
(province de Farafangana)
Pourquoi les femmes montent-elles surle trône?
Un méchant roi vint à perdre,un jour,une de ses brebis.
Il réunit tous ses serviteurs et leur dit :
«Allez à la recherche de ma brebis égarée et lorsque vous l'aurez retrouvée amenez-moi la personne chez qui elle était,car je mettrai cette personne de suite à mort. »
Les esclaves partirent donc à la recherche de la bête.
Un autre roi qui était meilleur et plus généreux que le premier avait un fils qui
s'appelait Imilaloza.
Ce fils dit à son père :
« Père, vous m'élevez ici, à l'abri de tout accident, dites-moi où je pourrai trouver
un danger. »
Le roi répondit :
« Mon enfant, si tu désires avoir quelque malheur, va sur ce plateau voisin. »
Dès qu'Imilaloza fut arrivé, il éprouva la faim et mangea un melon bien mûr.
Après s'être rassasié, il enveloppa un autre melon dans son lamba et reprit le chemin
de sa demeure.
En route, Imilaloza rencontra les esclaves du mauvais roi qui cherchaient la brebis et qui lui demandèrent :
« Qu'avez-vous enveloppé dans votre lamba ? »
« Ce n'est rien, répondit-il, ce n'est qu'un melon. »
« Voulez-vous nous en donner, reprirent-ils ? »
Alors quel ne fut pas l'effroi du pauvre Imilaloza quand il s'aperçut que le melon
qu'il portait était transformé en une tête de brebis.
« Voyez, s'écrièrent les messagers, c'est vraiment celui-ci qui a volé la brebis de notre maître.
Nous ne pouvons pas le tuer parce qu'il est prince, mais emmenons-le. »
Arrivé devant le roi, Imilaloza prit la parole en ces termes :
« Sire, ne pourrais-je pas me racheter?
Quelle rançon veux-tu me donner pour te racheter?
De l'argent, des bœufs, j'ai de tout cela. »
« Tu n'auras la liberté qu'en échange d'une pièce de dix francs en or. »
« Entendu, dit Imilaloza, envoyez un messager chez mon père pour réclamer ma rançon. »
Arrivé chez le bon roi, l'homme dit :
« Mon maître vient d'attraper un homme qui a volé sa brebis, cet homme est votre fils, et je suis chargé par lui de vous mander la pièce de dix francs qui représente sa rançon. »
« Va la chercher chez ma première femme répondit le roi. »
« Elle n'est pas en ma possession dit la vadibé (1), tu la trouveras chez la seconde
femme. »
« Cette pièce, répondit cette dernière n'est pas chez moi, mais c'est la femme d'Imilaloza qui la détient. »
Le messager se rendit donc auprès de la compagne du prisonnier et lui expliqua sa
requête :
« La pièce d'or que tu réclames, dit-elle, est bien en ma possession, mais je ne puis la
donner à un esclave comme toi va dire à ton maître qu'il m'envoie son propre fils et je la lui remettrai. »
Le messager partit et transmit la missive au roi.
Alors, celui-ci dépêcha auprès de la femme d'Imilaloza son fils bien-aimé et un serviteur, pour réclamer la rançon.
Arrivé chez le bon roi où se trouvait la femme du prisonnier, les messagers l'entendirent parler ainsi :
« Papa, convoquez donc tout votre peuple et tous vos serviteurs. Je ne veux pas céder
cette pièce d'or à ces messagers envoyés par ce méchant roi. Il possède là-bas mon époux chéri, et, ici nous avons son enfant bien-aimé. S'il tue Imilaloza, nous mettrons à mort ce prince qui est notre prisonnier. »
« Et toi, pauvre serviteur, prends le chemin du retour et raconte à ton roi tout ce que tu as vu. »
En écoutant un tel récit, le méchant roi s'écria :
« Qu'on lui ramène son fils et qu'on délivre de suite mon enfant chéri. »
C'est à cette ruse si ingénieuse qu'Imilaloza dut la vie.
Tout le peuple acclama la jeune femme et, à la mort du bon roi, la proclama reine.
Telle est la cause qui permit aux femmes de monter sur le trône, depuis Ranavalona Ire jusqu'à Ranavalona III.
(1) Première femme.
Contes de Madagascar
Charles RENEL (1866 – 1925)
Librairie Ernest LEROUX
PARIS