Conte: En fin de conte : Sakory était un caméléon...

En fin de conte : Sakory était un caméléon
Sakory était un caméléon tout à fait ordinaire. Il possédait la prudence de ses ancêtres et regardait toujours devant et derrière lui avant de faire un pas. Comme eux, il avait aussi une âme de toutes les couleurs, ce qui lui pesait un peu, car les couleurs étaient lourdes à porter. Mais il avait intérêt à les avoir tous les jours avec lui car son travail de militaire l’obligeait à se camoufler en prenant la couleur de ce qui l’entourait.
Savez-vous que chaque couleur a une histoire ? Le bleu, par exemple, est la couleur sortie d’un puits de vazimba. Les vazimba étaient les anciens habitants de la grande île nommée Tanibe. Ils pouvaient vivre à la fois dans l’eau et à l’air libre. Les filles des eaux étaient leurs grandes amies et ils séjournaient souvent chez elles, au fond des eaux. Les puits leur servaient souvent de passage pour rejoindre les lacs les plus lointains et, parfois même, les mers. Et pour se retrouver dans les multiples voies qui s’offraient à eux, ils teintaient leur parcours avec cette couleur, rien qu’en regardant l’eau. Un jour, un vazimbadistrait avait regardé dans la mauvaise direction, alors qu’il se trouvait déjà au fond d’un puits. La couleur fusa alors du fond pour sortir à l’air libre. Le ciel s’en empara, ainsi que certaines plantes et pierres.
Et le rouge, savez-vous d’où vient le rouge ? C’est toujours d’un vazimba, un vazimbagéant qui s’était promené au mauvais endroit au mauvais moment. Comme on n’en avait jamais vu de semblable dans la région, les gens ne pouvaient pas savoir que ce qu’ils prenaient pour un tronc d’arbre n’en était pas un, mais la jambe d’un géant. Ils mirent des jours à entailler ce tronc qui, à la fin, laissa échapper une rivière de couleur bizarre : c’était le sang qui giclait. Le rouge était ainsi apparu. La terre s’en empara, ainsi que certaines plantes et pierres.
Le vert, ah ! le vert ! La grande couleur ! La couleur liquide. Elle vient d’une grande anguille qui avait sept fois la taille d’un homme. Une anguille centenaire qui, un jour, lasse de sa vie monotone, demanda à mourir afin de changer de monde et de vie. Il lui fut alors conseillé de restituer la santé à son maître créateur pour pouvoir partir plus facilement. Dans sa précipitation, elle exhala trop tôt la santé de sa gorge. Les envoyés du maître n’étant pas encore présents pour la recueillir, celle-ci flotta dans l’air. Elle était de couleur verte. La nature s’en empara, ainsi que certains animaux et pierres.
Et le rose, demandez-vous ? Le rose est un peu particulier. Il était la couleur de l’astre qui brillait le jour. Il était tellement joli que tout le monde lui demandait un peu de sa couleur. Dans sa largesse, celui-ci, chaque jour qu’il brillait, passait son temps à distribuer sa couleur. Un jour, il s’aperçut, mais trop tard, qu’il ne lui en restait plus une once. La vie s’en était emparée, ainsi que certaines plantes et pierres.
Pour le marron, ce fut très simple. C’est la couleur mère, celle qui avait toujours existé. Elle existait depuis tellement longtemps qu’on croyait qu’elle était née avec la terre. Et c’est elle qui avait engendré le blanc et le noir.
Le jaune, par contre, est vraiment différent. C’est une couleur qui fut volée au ciel par un papillon. Ce papillon avait un jour croisé la fille de Zanaharyparée d’un lambade cette couleur magnifique, une couleur d’or. Il la suivit jusqu’à sa demeure, au ciel. Arrivé là-bas, il ne mit pas longtemps à découvrir l’atelier de tissage. Il se saisit d’une calebasse de teinture jaune et s’en fut sur la terre. Comme la calebasse était trop pleine, il renversa de la teinture un peu partout sur son parcours. L’atmosphère s’en empara, ainsi que certaines plantes et pierres.
J’allais oublier le violet. C’est normal car c’est la couleur dévoilée. Elle était, avant, la couleur mystérieuse que la mer cachait en son sein. Elle l’affichait de temps en temps. Et chaque fois qu’elle le faisait, sa voisine la terre était en émoi, et l’invitée de celle-ci, la nature, angoissée. Le maître des quatre mondes s’en émouvait et obligea la mer à cracher la couleur troublante. Personne ne s’en empara, à part une pierre nostalgique.
Le gris ? ah oui, le gris ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt. Oui, je le devais car il est lié au jaune. Apres le départ du papillon voleur, Zanahary, qui visitait tous les jours l’atelier de tissage, s’aperçut de la disparition de jaune. Il s’en prit d’abord au tisserand, qui assurait par tous les dieux sous les ordres de son maître qu’il n’y avait pas touché de la journée. Zanahary questionna les gardiens de l’atelier qui n’avaient rien remarqué de suspect. Son regard se porta sur la terre en bas : l’atmosphère qui entourait celle-ci en permanence brillait légèrement ! Certain que c’était sa teinture jaune qui en était à l’origine, il entra dans une colère terrible. Se saisissant de la calebasse de teinture grise, il en renversa le contenu au-dessus de la terre. Le gris recouvrit alors les hauteurs. Les nuages s’en emparèrent, ainsi que certaines plantes et pierres.
Il y a beaucoup d’autres couleurs, mais elles sont nées des premières. Il en existe encore d’autres au ciel, mais la fille de Zanahary n’aime plus se promener sur la terre pour les arborer et séduire les papillons. Alors que sous terre, des pierres attendent encore d’être colorées pour se découvrir. Et sur terre, il y a aussi des plantes qui souhaitent changer de teinte.
Comment aurait été notre vie sans les couleurs ? Comment serait-elle avec de nouvelles couleurs ? Je rêve d’un monde de plus de couleurs. Comment dites-vous ? Ah oui ! Où avais-je la tête ? Où en étais-je ? Je vous prie de m’excuser, j’ai laissé filer le caméléon. Ne vous inquiétez pas : il ne doit pas être bien loin.
Oui. Voilà !
Sakory était un caméléon tout à fait ordinaire. Il possédait la prudence de ses ancêtres et regardait toujours devant et derrière lui avant de faire un pas. Comme eux, il avait aussi une âme de toutes les couleurs, ce qui lui pesait un peu, car les couleurs étaient lourdes à porter. Mais il avait intérêt à les avoir tous les jours avec lui car son travail de militaire l’obligeait à se camoufler en prenant la couleur de ce qui l’entourait.
Un conte est un conte. Je trace des voies, vous les parcourez.
Par Sylvia Mara
(article publié dans no comment magazine n°44 - Septembre 2013 ©no comment éditions)
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