Conte: Ikotofetsy et Imahaka

IKOTOFETSY et IMAHAKA. (1)
C’est « formidable » peut-on dire, quand on parle des exploits de ces deux compères. Mais « bien mal acquis ne profite jamais » dira-t-on bientôt quand on aura calculé la valeur des biens qui leur restaient après tant de vilaines actions.
En effet, ils ne possédaient en tout et pour tout qu’une oie et deux canards. Ikotofetsy qui se croyait victime de la supercherie de son compagnon demanda le partage des biens en deux parties égales. « c’est impossible », déclara Imahaka. L’autre insista si fort qu’il fallait trouver un moyen. Imahaka recommanda à son ami de dormir pendant qu’il rechercherait dans sa cervelle la lumière nécessaire pour partager trois êtres vivants sans les tuer. Illusion ! ikotofetsy dormit, et pendant qu’il sommeillait , Imahaka abattit les trois oiseaux, les dépeça, les fit cuire, et dans chacune des deux assiettes de même grosseur, il mit la moitié des chairs à part une cuisse d’oie qu’il se permit de manger seul. Quand Ikotofetsy se réveilla, il fut tout surpris de constater que son ami avait tué les oiseaux, qu’il les avait fait cuire et partagé en deux. Colère, discussion, menace de coup,. A quoi bon ? Il fallait maintenant manger. – Où est la deuxième cuisse d’oie ? interrogea Ikotofetsy. – Mais, répliqua l’autre, tu manques totalement d’esprit d’observation. N’as-tu pas remarqué que cette oie n’avait qu’une patte, qu’elle avait toujours boité ? – Supercherie, rétorqua Ikotofetsy. – Céleste vérité, affirma Imahaka. Enfin nouveaux échanges de coups de poings de coups de pieds entre les deux compères. Les dents se mirent en action ; les ongles ne voulurent aps restés inactifs. Le recours aux bâtons allongea le débat. Ikotofetsy eut la jambe cassée et Imahaka perdit son bras gauche. La bataille cessa. « Mais qu’avons-nous donc fait ? » déclara Imahaka. « Nous battre pour avoir une cuise d’oie de moins ou de plus ? Que dira-t-on de nous quand on aura appris tout cela ? Unissons-nous, travaillons encore ensemble ; j’ai encore un bras, tu as une jambe ; nous pouvons faire quelque chose et réussir ».,. ikotofetsy ne se fit pas prier plus longtemps. Il fut alors décidé qu’ils iraient voler le trésor du roi et enlever sa fille. Ils montèrent donc au palais royal en pleine journée, Imahaka, le manchot, tirant Ikotofetsy, l’estropié. On les aperçu bientôt. Or, le roi avait mis à prix la tête d’Imahaka et d’Ikotofetsy. Alors, une foule de jeunes gens accourut vers les deux compères pour les arrêter. Mais aussitôt, Imahaka cria : « Où allez-vous ? Que venez-vous faire ? C’est moi qui ai attrapé Ikotofetsy, c’est à moi seul que doivent revenir les récompenses. Je n’ai pas besoin de votre aide pour emmener ma capture devant le roi. Je suis suffisamment fort ».
On connaissait mal Imahaka, car on le rencontrait très peu. Par contre Ikotofetsy, qui était auparavant un officier du palais (un déserteur, un traître) fut reconnu immédiatement.
Dès que Imahaka fut présenté au roi, celui-ci ordonna qu’on mît Ikotofetsy dans un sac et qu’on le jetât dans un étang. Imahaka s’offrit pour faire tout le travail, prétextant qu’il n’admettait pas que quelques complices vinssent délivrer Ikotofetsy, l’escroc, l’homme incorrigible qui avait semé le désordre dans le royaume. – Il fut, dit-on, un temps ou les suppliciés disposaient de deux heures – liés ou ensachés – gardés seulement par leurs bourreaux, pour faire leur prière. Ensaché, Ikotofetsy fut gardé par Imahaka. Par hasard, une vieille femme passa près de là. Le temps de délivrer Ikotofetsy, le temps d’attraper l’imprudente passante, de l’ensacher, ce temps fut si court que la légende le compare à celui que mettraient les rayons du soleil de Tamatave à Tananarive. – Ilotofetsy s’enfuit aussitôt, clopin-clopant.
Au moment de l’exécution, une foule dense s’empressa pour voir comment allait mourir le plus célèbre bandit du royaume. Le roi lui-même vint pour montrer sa haine contre Ikotofetsy, son ancien officier de palais, qui avait dilapidé son trésor, qui l’avait trahi en démoralisant ses soldats lors d’une bataille difficile, et qui, à l’heure actuelle, par ses mauvaises actions, était la cause qu’une inquiétude profonde régnait dans le pays.
Voilà donc Imajaka qui saisit le sac d’une main, le soulève avec aisance ; et d’un geste qui étonne tout le monde, il jette le lourd paquet dans l’eau, en ajoutant : « Han ! C’est en fait de toi ». des bulles d’air qui s’élevaient à la surface de l’eau démontraient que la victime était déjà asphyxiée. Mais Imahaka déclara aussitôt : « Han ! le diable, il compte son argent ! ». tout le monde fut étonné d’apprendre qu’il y eut de l’argent au fond de l’eau. Imahaka continuait : « Oui, voyez-vous, Ikotofetsy est arrivé à sortir. Le voilà qui marche ; le voilà qui se cache dans un trou ; le voilà qui met un gros morceau d’or dans sa poche ; le voilà qui nous regarde en riant ». là-dessus, Imahaka menaça du doigt l’homme invisible en lui disant : »Ah, je te rattraperai un jour » ; puis, se retournant vers le roi et les sujets présents, il dit : »Méfiez-vous encore, car Ikotpfetsy reviendra, plus fort et plus riche ».
Des mois passèrent et les vols se multipliaient. On avança des noms de voleurs ; on parla de deux individus qui devaient avoir quelques infirmités à en juger par leur manière de marcher ; car on les avait aperçus une nuit qui rôdaient autour d’un poulailler. Mais il n’était plus question de surveiller Imahaka qui avait été abondamment récompensé et qui s’était fait élire notable de son village. On accordait également peu de crédit au retour annoncé de Ikotofetsy, lequel selon l’opinion générale ne pouvait être ailleurs que dans le ventre de quelques caïmans.
Un beau jour, voilà Ikotofetsy qui se présente au village, estropié, certes, mais richement vêtu.
Le roi en est informé aussitôt. Mais au lieu de représailles immédiates, le seigneur ordonne qu’on lui amène ce rescapé afin de l’interroger. Ikotofetsy se présente, lui déclare qu’il a bien été jeté dans l’étang, et qu’au lieu d’y trouver la mort, il y trouve de l’argent. Il ajouta : « Au fond de l’étang, il y a un palais rempli de pierreries ».
Curiosité ou convoitise, ce fut de l’avis de tous qu’il valait bien la peine d’être jeté dans l’étang pour en sortir aussi riche et aussi bien portant. C’était alors à qui serait jeté le premier. Le roi s’en alla avant ses sujets. Des bulles d’air sortirent de l’eau : « Il compte son argent », dit Imahaka. Ce fut le tour de la reine : « Ah, quelles pierreries» affirma l’exécuteur. La fille du roi se présenta toute ravie, impatiente de rejoindre son père et sa mère, et de jouir de cette vie si douce ! « Attends un peu », lui dit Imahaka, « tu auras toujours tan part de bonheur, car tel que je les aperçois d’ici, le roi et la reine ont besoin de sujets nombreux, leur fardeau d’or étant pesant ».
Alors, ce furent des jets interminables de sacs. On se mettait à deux, à trois, à cinq, à dix dans le même paquet. Quand il ne resta plus que la petite fille du roi, si blonde et si douce, Imahaka dit : « Ma petite reine, allons-nous nous reposer plus loin ! »
(1) Ikotofetsy et Imahaka : Les contes malgaches sont pleins des vilains tours de ces deux compères. Toute une littérature, surtout dans les Hauts-Plateaux, raconte ces exploits qui nous feraient penser aux vingt sept branches du roman de Renard.
Contes et légendes de Madagascar
RABEARISON
Administrateur Civil