Je vous en vie

Publié le par Alain GYRE

Je vous en vie

 

samedi 30 mars 2013, par Citoyenne Malgache

 

Chez eux, les plantes ont des épines pour survivre dans un milieu hostile et aride, et les hommes se déplacent avec une hache, une sagaie et parfois avec un fusil. Ils s’appellent Tsimatahotse et pourtant ils ont peur. Au village, on dirait qu’il n’y a que des femmes. Les hommes ne sortiront que lorsqu’ils sont sûrs que vous n’êtes pas de ceux qu’ils craignent…

Mais de qui, de quoi ont-ils peur ? Que s’est-il passé pour que ces hommes endurcis à survivre à la sécheresse, à la famine, aux invasions de criquets et aux traditions des vols de zébus soient prêts à s’enfuir dans la forêt, à la vue d’un 4x4 qui s’approche ?

Ils ont peur des fahavalo. Ceux qui viennent pour voler en plein jour le peu de biens qu’ils ont, les assiettes, les marmites, mais qui au moins leur laissent la vie sauve. Ceux qui s’attaquent aux commerçants, aux voyageurs, aux gens qui ont de l’argent, et qui tuent d’abord avant de voler. Et ceux qui envahissent les villages, s’annoncent à coups de sifflet et de tirs en l’air pour prendre les zébus… 60 têtes… 200 têtes… 1200 têtes… Personne ne sort des maisons, sinon c’est la mort et le feu. Les braves les poursuivront plus tard, sans toujours les rattraper. Mais au moins le village est épargné… Et tout cela peut se répéter 13 fois dans l’année.

Ils redoutent les vazaha. Pas les blancs… les militaires. Ces militaires font en effet fuir les voleurs de marmites mais pour certaines opinions ils font plus de mal que du bien. Et puis, Remenabila est trop fort pour ces vazaha : il se transforme en piso quand on lui tire dessus. C’est la légende.

Les rapports officiels parlent d’insécurité inhabituelle. Mais si on leur pose la question, ils diront que ça va. Que cela fait deux semaines que c’est calme. Ils parleront ensuite de la sécheresse, du chômage et de l’état de la route…

La politique ? J’ai posé la question une fois. J’ai eu honte de m’en soucier quand la survie est ailleurs. Je n’ai plus osé recommencer. Il y a cependant des traces. La photo officielle de Rajoelina dépouillée de son cadre dans une mairie. Une affiche de propagande du ENY chez le Mpanjaka. Un paysan vêtu d’un T-shirt de Ravalomanana. Rien n’est vraiment trop loin pour les politiciens.

Madagascar est au plus bas des indicateurs internationaux. Ils sont au plus bas des indicateurs nationaux. La nature et les profiteurs s’acharnent contre eux. Il semble même que leur propre culture les enchaîne même quand ils essaient d’en faire une solution comme avec les dina : réparer un homicide avec 30 têtes de zébus et ensuite trouver les 30 têtes de zébus…

Les enfants du pays, ceux qui ont « réussi », ont quitté la région. Les autres ont peur d’y aller ou d’y revenir. Qui donc a envie d’y rester ? Vivre avec 0,3 litre d’eau par jour, juste l’équivalent d’un grand verre… Etre en perpétuelle alerte… Risquer sa vie pour une zone pour laquelle on ne sait plus trop comment faire pour la développer…

On y va en touriste, on y va en aventurier ou pour le travail qu’on ne peut refuser.

Et eux, ils nous regardent passer, le visage grave, avec notre eau en bouteille, nos appareils photos, nos notes sur leur région, notre portefeuille pour nous payer un repas convenable… Ils doivent se dire, ceux-là ne font que passer, mais d’autres reviendront avec d’autres bouteilles d’eau, d’autres appareils photos, d’autres notes sur la région.

Et eux, ils continueront à faire ce qu’ils ont toujours fait : essayer de rester en vie… et donner tort ou raison à tout ce qu’on aura écrit sur eux.

Madagascar-Tribune.com

 

Publié dans Revue de presse

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