Conte: Kotokofafa et Dingadingana.

Publié le par Alain GYRE

 

KOTOKOFAFA ET DINGADINGANA (1).
(Betsimisaraka)

 

Un jour, Kotokofafa (2) errait dans la campagne, cherchant à apaiser sa faim.

Voyant que le riche Dingadingana faisait labourer ses rizières, il se joignit aux travailleurs pour gagner sa nourriture.

Son travail fut si bien fait et si rapidement terminé que Dingadingana lui dit :

« O Kotokofafa, tu es un excellent laboureur, et je veux t'en récompenser : je te donne la main de ma fille. »

Kotokofafa accepta avec joie, car il n'aurait jamais prétendu à devenir le gendre d'un homme si riche.

De retour chez lui, Dingadingana dit à sa femme et sa fille :

« Je viens de trouver un homme sage, de bonne conduite et très travailleur.

Ma fille, je te le donne pour mari. C'est Kotokofafa.

Voici une bonne case dont je vous fais cadeau.

 Vous l'habiterez quand vous serez mariés. »

« Que faites-vous, Dingadingana, répondit la femme? vous donnez votre fille à Kotokofafa, un pauvre diable sans sou ni maille? »

« Mon père, ajouta la fille, je n'épouserai jamais un pauvre diable comme Kotokofafa; dussiez-vous me maudire et me déshériter. »

« Ce pauvre diable, je le préfère à tous ceux qui peuvent prétendre à ta main, reprit le père.

La misère dans laquelle il a vécu lui a donné de l'expérience pour l'avenir. »

Kotokofafa qui assistait à cette scène, se rendit dans la case que lui avait donnée son beau-père.

Il y fit appeler sa femme, mais celle-ci persista dans son refus.

A quelque temps de là, les affaires de Dingadingana l'obligèrent à s'absenter. Kotokofafa demanda à le suivre.

Son beau-père s'y opposa d'abord; puis finit par céder.

Dingadingana lui fit donner des porteurs (3) et ils partirent tous deux.

En arrivant dans un village, Dingadingana envoya ses serviteurs chercher du poisson pour en manger avec du riz.

Chacun des esclaves prit une direction différente.

Kotokofafa qui était aussi allé à la pêche, trouva des perles, de l'argent et des vêtements.

Tout heureux d'avoir fait cette trouvaille, il revint vers son beau-père et lui demanda la permission de retourner près de sa femme, prétextant un grand chagrin d'en être séparé. Dingadingana se rendit à son désir et Kotokofafa retourna chez lui.

Aussitôt arrivé, il envoya chercher sa femme pour qu'elle lui fît cuire du riz.

Celle-ci ne voulut rien entendre. Kotokofafa lui fit dire une seconde fois :

« Femme, ton mari a faim. Viens lui faire cuire son riz. »

Nouveau refus.

Kotokofafa qui avait mis les perles, l'argent et les vêtements dans trois jarres, fit prier alors sa belle-mère de venir le voir :

« Où est ton riz, dit cette dernière en arrivant, je vais te le faire cuire. »

« Cherche dans ces trois jarres, répondit Kotokofafa. »

Elle regarda dans la première, et vit les perles :

« Il n'y a pas de riz dans cette jarre, Rakoto, dit-elle. »

« Il est probablement dans la seconde, répondit l'homme. »

La seconde était pleine d'argent :

« Je n'en trouve pas davantage dans celle-ci, reprit la femme, surprise de voir tant de richesses. »

« Regarde dans la troisième, dit Kotokofafa. »

La troisième jarre était remplie de vêtements.

S'apercevant que son gendre était devenu riche, la femme dépêcha quelqu'un auprès de sa fille pour lui dire de venir faire cuire le riz de son mari :

« Il y a, ajouta-t-elle, chez Kotokofafa quelque chose de nouveau qui t'intéressera beaucoup. »

La fille ne se fit pas attendre.

Dès qu'elle se présenta, Kotokofafa lui dit :

« Toutes ces perles t'appartiennent. »

Elle consentit alors à épouser Kotokofafa, mais seulement lorsqu'elle eut vu les richesses qu'il possédait.

Pendant qu'elle comptait les perles et l'argent de son mari, arrive une femme dont le mari était très jaloux.

Cette dernière regarda longtemps les richesses de son amie ; puis elle rentra chez elle :

« Pourquoi quittes-tu ma case, lui dit son mari? Tu es restée longtemps chez Kotokofafa; tu as dû te donner à lui. »

« Non, répondit la femme. Tu sais bien que la femme et la belle-mère de Kotokofafa habitent dans sa case. Il me serait donc impossible d'être à lui, même si j'étais assez dévergondée pour oublier mes devoirs d'épouse. »

« Tu m'as trompé, reprit l'homme; nous allons divorcer. Tu pourras ensuite épouser Kotokofafa. »

La femme accepta avec joie cette transaction sachant que l'autre était riche.

Son mari la conduisit immédiatement chez Kotokofafa et la lui offrit pour épouse devant tout le village.

Celui-ci tout heureux d'être recherché pour mari, dit à la fille de Dingadingana :

« Que penses-tu de cela? un homme vient de m'amener sa femme pour que je l'épouse? J'en aurai donc deux. »

« Epouse-la, répondit la femme. Prends-en trois, quatre, si tu le désires.»

Kotokofafa était on ne peut plus heureux.

Dingadingana arriva sur ces entrefaites, et apprit avec plaisir que le ménage de Kotokofafa était très uni malgré la présence de deux femmes.

Celui-ci avoua son second mariage à son beau-père :

« A ton aise, lui dit Dingadingana; tu peux en épouser d'autres si tu le désires. »

Kotokofafa était heureux; rien ne lui manquait; richesses, esclaves, jolies compagnes venaient à lui :

« Si j'étais pauvre, disait-il, personne ne voudrait de moi ; comme je suis riche toutes les femmes veulent m'avoir pour époux. »

 

De là est venu ce proverbe :

 

Le riche et le pauvre peuvent changer de situation : le riche peut devenir pauvre, et le pauvre, devenir riche.

 

(1) Le texte de ce conte m'a été dicté par un Betsimisaraka de Tamatave,

(2) Nom propre composé de Koto (nom d'homme) et Kofafa (balai).

(3) Les voyages ne peuvent s'effectuer à Madagascar qu'en pirogue ou en filanjana, espèce de chaise à porteurs. Ce dernier moyen permet de voyager plus rapidement qu'en pirogue; mais il est aussi beaucoup plus dispendieux.

Contes populaires malgaches

Recueillis, traduits et annotés par

Gabriel FERRAND

Editeur : E. Leroux (Paris) 1893

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article