Conte: L'hôte dans la cuisine

L’Hôte dans la cuisine.
Ne laissez jamais vos hôtes dormir dans votre cuisine : vous pourriez avoir de graves ennuis.
Totonibaria à l’habitude de laisser dormir dans sa cuisine ses hôtes. Cela peut être commode pour les passagers qui y trouvent de la chaleur. Toto eut pourtant affaire, un jour, à un plaisantin.
Le vahiny s’installa dans la cuisine et dormit. Vers minuit, il se réveilla, se mit à déranger tout ce qui était dans la pièce : assiettes, louches, cuillers, soubiques, nattes, etc.… y compris les restes de repas. Tout cela formait un amoncellement fâcheux et sordide.
Au premier chant de coq, notre hôte vint dire au maître de la maison qu’il allait partir, et il s’en alla en effet.
Le matin, la femme vint dans la cuisine pour préparer le sosoa. Elle fut toute surprise de constater le bouleversement. Elle prévint son mari : « l’homme que nous venons de recevoir est un sorcier, » dit-elle. Le mari accourut et vit le désordre. « Il ne peut être que sorcier »., déclara-t-il, en fin de compte. On jeta le riz blanc, le paddy, les brèdes. On nettoya les marmites. On brûla les soubiques, les nattes. On fit venir le devin du village pour débarrasser la pièce de tous les esprits malsains que l’hôte aurait pu laisser rôder dans la chambre.
Deux semaines plus tard l’homme réapparut. La femme le reconnut aussitôt, fit la grimace, mais n’osa pas s’en prendre à lui ouvertement. Elle dit à son mari : « Voilà le sorcier qui revient ». le mari fit la moue et appela plus à l’écart sa femme. Le voyageur vit ce changement d’attitude ces regards méfiants, ces coups d’œil en arrière, ces chuchotements interminables, ces haussements d’épaules. Placidement, il attendit la bonne occasion en riant sous cape.
L’époux s’enquit de l’étranger en lui demandant : « C’est toi l’homme que nous avons reçu voilà bientôt deux semaines et qui a laissé tant de cochonneries dans notre cuisine ? La femme vomit alors des injures. « C’est bien lui, vociféra-t-elle. Qu’il ne nous trompe plus »,. La voix de la femme devint plus forte, plus menaçante. C’est ce qu’attendait l’hôte.
« Oui, c’est moi, répondit-il. Je suis passé chez vous. Vous m’avez bien reçu. Vous m’avez donné à manger. Vous m’avez cédé une belle natte. En échange, j’ai tout mis en désordre dans votre cuisine. La raison ? la voici : vous commettez souvent cette bêtise : vous laissez vos hôtes dormir dans votre cuisine ! Or, vous y laissez l’eau que vous allez boire, le riz que vous allez manger, les cuillers que vous allez porter à la bouche. Vous étiez trop crédules et trop naïfs. Je vous ai joué ce petit tour pour vous rappeler à la raison. Je vous donnerai donc un conseil. Il vous faut trois chambres dont l’une sera pour vous. Vous y dormirez et vous y conserverez tout ce qui est le plus précieux. La deuxième chambre sera pour les amis de passage, vous n’y laisserez que ce qui est strictement nécessaire pour le coucher. La troisième chambre servira de cuisine : c’est un lieu saint. Que personne n’y entre à part votre femme et vos enfants, sinon… ». Alors la femme leva haut les mains, elle regarda fixement son mari. « Tu as bien compris ce que le Monsieur vient de te recommander ? dit-elle. Combien de fois je te l’ai dit. Tu es paresseux. C’est honteux de vivre avec un homme comme toi. Il nous faut trois chambres. Je te l’ai dit cent fois et tu n’as encore rien compris. Voici maintenant le monsieur qui te donne une belle leçon ». Elle se retourna vers le passager : « Merci, dit-elle, vous avez très bien fait ».
Depuis ce temps, dit-on,, les Tsimihety se méfient beaucoup des étrangers qui dorment dans les cuisines.
Ils ont raison.
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RABEARISON
Administrateur Civil