Conte: La banane, le Roi et son fils

La banane, le Roi et son fils.
Un roi avait fait planter beaucoup de bananiers, et uniquement des bananiers. Ses sujets, nombreux, en devenaient riches, archi-riches comme tous ceux qui ont le courage de travailler beaucoup. Le roi lui-même avait un champ très vaste qu’il faisait garder, où des fruits mûrs pendaient. Les gardiens avaient reçu l’ordre de rendre compte des dégâts constatés, même des petits prélèvements opérés par les chauves-souris ou les rats. Les vols faisaient l’objet de procès-verbaux détaillés et étaient poursuivis comme les plus grands crimes du royaume. La constitution (1) décrétait la mort du voleur.
Le roi avait deux fils, deux garçons qu’il aimait tendrement. Chacun d’eux portait une bague. Un jour, les deux fils allèrent à la chasse à la sarbacane. Ils avaient faim, et comme ils traversaient un vaste champ de bananiers, l’envie leur prit de manger quatre bananes mûres. Ils laissèrent les écorces sur place. Les gardiens dressèrent un procès-verbal. L’enquête révéla que c’étaient les fils du roi qui avaient commis le crime. Que faire, se dit le roi ; il n’avait que ces deux fils. Fallait-il les ntuer comme tous ceux qui avaient enfreint aux règlements sur les bananes ? le conseil délibéra et conclut qu’il fallait se débarrasser seulement de celui qui avait suggéré l’idée du vol. le roi appela le cadet et le questionna avec beaucoup de douceur.
- Eh bien, mon fils, dis-moi la vérité, as-tu dérobé des bananes ?
- Oui, mon père.
- De qui venait l’idée ? De toi ou de ton frère ?
- Je ne puis vous le dire, mon père.
- Ah ! mon fils, parle, dis-moi la vérité. Je te donnerai du bonbon (2) quand tu m’auras tout raconté.
- Je ne puis tout dire, mon père, car mon frère me coupera la langue.
- Non. Il ment. Parle, mon fils.
- Mon frère m’a dit : « Puisque nous avons faim, nous allons manger un peu de bananes ». il a arraché d’un régime quatre bananes mûres. Il m’en a donné deux, il en a mangé deux. Il a dit ensuite : « Si tu racontes ceci à notre père, je te couperai la langue ».
L’aîné qui était dehors avait tout entendu. Il savait qu’il allait mourir, et il prit la fuite. Il marcha cinq nuits, il marcha quatre jours, il arriva chez son oncle qui régnait dans le sud. Il lui dit : « Mon oncle, cache-moi dans la malle. J’ai mangé deux bananes, mon père veux me tuer ». l’oncle répondit : « Ton père saura que je te garde chez moi ; il me cherchera querelle ; j’aurai à soutenir contre lui une guerre longue et difficile ; je te prie donc de t’en aller au loin, bien loin de mon royaume ; je te donnerai mon cheval noir, le plus rapide de mes coursiers ; je te céderai ma lance et mon bouclier, tu t’en serviras pour te défendre si on venait t’attaquer un jour ; je te donnerai de l’argent, tant que tu pourras en emporter pour tes achats ; mais quitte vite mon royaume ; je crains mon frère ».
L’enfant s’en alla. Il marcha cinq nuits, il marcha quatre jours. Il rencontra un grotte parsemée de squelettes. Il s’y blottit. Vers le soir, un animal gigantesque surgit, un être de l’espèce des croquemitaines, qui était la terreur des environs. La grotte était sa demeure et les squelettes témoignaient de sa férocité. L’enfant le tua avec sa lance. La nuit, pendant qu’il sommeillait, il eut un songe :
« Demain, tu partiras de grand matin, tu verras un gros village, tu rencontreras la fille du roi, mais prends garde… ». l’enfant ne comprit pas grand’ chose à ce rêve. Le matin il dépeça l’animal, il se couvrit avec sa peau, et ainsi déguisé, il monta sur son cheval et partit. Il aperçut bientôt le village, il traversa un beau jardin et rencontra une fille toute jolie qui se baignait dans une fontaine. Sans se troubler, la fille demanda : « Dis-moi si tu es une personne ou un animal ». l’enfant répondit : « Je suis une personne ». puis, il demanda la main de la fille. Celle-ci répondit : « Demain, tu repasseras dans le jardin. Si tu trouves deux pieds d’oignons arrachés, tu concluras que j’ai accepté et tu viendras m’attendre au pied de l’arbre qui est là-bas ». le lendemain, les deux pieds d’oignons étaient arrachés et la petite fille attendait au pied de l’arbre. Un mois passa, le garçon habitait toujours dans la grotte, le lieu du rendez-vous était toujours le pied de l’arbre.
Un jour, la jeune fille dit : « Demain, je ne reviendrai pas ici. Le roi du nord va attaquer mon père. Ordre sera donné à toutes les femmes de rester au palais pendant que les hommes iront à la rencontre des ennemis ».
Au lever du soleil s’engagea une bataille des plus dures. Les ennemis allaient triompher. Brusquement, telle une apparition fulgurante, le garçon, monté sur son cheval noir, armé de sa lance et de son bouclier, surgit, se fraya un passage à travers les ennemis, fit un massacre effroyable et provoqua la débandade générale. Le roi triompha de ses ennemis, mais le garçon s’éclipsa et rejoignit la grotte. Deux jours après, la jeune fille était au lieu du rendez-vous. Elle dit au garçon : « Je vais t’apprendre une bonne nouvelle : mon père a vaincu ses ennemis. Dieu a envoyé un génie sous la forme d’un cheval noir monté par un animal armé dune lance et d’un bouclier. Le génie a tué tous les ennemis de mon père ». là-dessus, elle s’est mise à danser.
Deux mois passèrent. Une nouvelle guerre allait éclater. Le roi du sud allait envahir le royaume. La fille dit à son amant : « Demain, je ne viendrai pas ici, le roi du sud va attaquer mon père. Ordre sera donné à toutes les femmes de rester au palais pendant que les hommes iront à la rencontre des ennemis ».
Le lendemain, pendant que la bataille faisait rage, le garçon était caché dans la forêt voisine et regardait. Les soldats du roi allaient succomber sous le nombre quand tout à coup, semblable à un éclair, il surgit sema la mort parmi les ennemis et les mit en fuite. Il s’éclipsa aussitôt.
Trois jours après, la fille était au lieu du rendez-vous et raconta les événements tels qu’ils avaient été racontés par le roi et les combattants. « Ah ! dit-elle (3) , nos soldats étaient épuisés, mon père était découragé. On allait reculer quand, tout à coup, un fantôme a paru, semblable à un cheval noir monté par un être poilu qui tenait une lance et un bouclier. Il frappa à droit, il frappa à gauche, il frappa en avant. Les ennemis de mon père tombaient comme des sauterelles malades. Le cheval piétinait tous ceux qui tombaient et qui ne pouvaient fuir. Et puis le fantôme a disparu. Mon père est sorti vainqueur ». là-dessus, elle se mit à danser et à chanter :
« Ino zany, ino zany, tsary misy hotry zany.
Iada mahery, iada matanjaka, mahery izy zany.
Io ».
Maintenant, continua-t-elle, mon père est triomphant. Il est fort, fort comme Dieu (4) . le jeune garçon, toujours habillé de la peau de l’animal, n’avait pas encore révélé son identité. Le rendez-vous continuait. La jeune fille fut enceinte, elle eut un beau garçon. Deux mois, trois mois, un an, deux ans, six ans passèrent sans incident nouveau. Le roi commença à vieillir. Il appela sa fille et lui demanda celui qui était le père de son enfant. La fille répondit qu’elle ne connaissait pas son nom. Sans se fâcher jamais, le roi convoqua le conseil et dit : « Je vous ordonne de convoquer tous les sujets. Je voudrais connaître le père de mon petit-fils ; je veux connaître mon gendre ». le jour fixé, tout le monde était présent. ,le roi prit une orange (5). Il dit : « Je vais lancer cette orange, elle retombera sur la tête de mon gendre ; celui-là sera l’héritier de mon trône ». l’orange retomba sans toucher aucune tête. Le roi saisit son petit-fils et lui dit : « Tu as maintenant sept ans révolus, tu dois connaître ton père, va le toucher et ramène-le moi ». l’enfant partit, traversa la foule, s’arrêta devant un jeune homme habillé de peau de bête et dit : « Voici mon père ». le roi l’appela et le questionna. Le jeune homme se déclara. Tout le monde était étonné de voir qu’un homme habillé de peau de bête, donc si misérable, était parvenu à séduire la fille du roi. Sans se fâcher jamais, le roi dit : « Monte sur le trône, beau gendre, je te proclame mon héritier ». le jeune homme demanda la permission de s’absenter une heure (6). Il s’éclipsa dans la forêt, changea d’habit, monta sur son cheval noir, se para de sa lance et de son bouclier et tel un éclair foudroyant, au grand étonnement du roi et de la foule, il fit son entrée triomphale dans le palais royal.
Un an passa. Comme le beau-père était deux fois vainqueur, vainqueur du roi du nord et du roi du sud, on comprend que le prétendant d’un trône si affermi put facilement rejoindre son village natal escorté de deux mille soldats. Il retrouva son père déjà vieux et son frère devenu fort riche. Le père dit : « Ah ! mon fils ! ». le fils dit : « Ah ! mon père ! ». ils s’embrassèrent.
(1) La constitution : A la vérité, les termes de constitution, lois, décrets, arrêtés, décisions, règlements, etc… traduisent tous le vocable malgache « didim-panjakana ».
(2) Je te donnerai du bonbon : « Lazao baka ny mariny, aveo anao ameky vato-mamy » disent les Tsimihety pour arracher les déclarations des petits enfants. Les tribunaux ne reconnaissent plus lavalidité de telles procédures d’enquête.
(3) Ah ! dit-elle : Les Tsimihety disent bien : hohabié homa, tsisy raha hotry zany eky ronié, etc…
(4) Fort comme Dieu : Matanjaka karaha Zanahary. Langage récent, employé par les Tsimihety depuisl’invasion Hova. L’ancienterme serait « Mahery hotry razambé taloha » ou fort comme les ancêtres.
(5) Le roi prit une orange : Certains conteurs disent deux oranges.
(6) Une heure : Lera raiky foana : dans l’esprit Tsimihety, veut dire : un instant. Noter que l’introduction du vocable « Lera » dans le langage malgache ne peut être que de date récente, sous l’influence française. Chez les Tsimihety, la notion de la durée du tempss’exprime par « Tselatra, masak’ahandro, poa-tokana, vetivety, etc… Le « vetivety », fort en usage dans l’Androna, étant expressif, semble le plus récent, « poa-tokana »est imagé et marque l’instant que met une balle ou la foudre pour tuer un individu. « Tselatra » est ce court moment d’éclair.
Notons enfin que les Tsimihety n’ont pas de précision pour situer les heures du jour. Leurs « Maneno sahona, maneno goaka, maneno akoho, mitaka vody lanitra, pia-masova » ne sont que des estimations découlant de leurs observations sur les comportements des êtres et des choses.
Contes et légendes de Madagascar
RABEARISON
Administrateur Civil