La femme et le menteur

La femme et le menteur
Il était une fois un homme dénommé Rekapila. Il avait une fort mauvaise réputation de rat, un rat qui avait plusieurs trous. Ce qui était mal. Mais Rekapila adorait courir, surtout quand il s’agissait de passer d’un trou à l’autre, d’un plaisir à l’autre. Infatigable et insatiable, il courait toute la journée.
Un jour, pour sécuriser ses allées et venues, il alla voir Mpamosavy, la femme maléfique, amie des ténèbres et des rats, et qui assouvissait son désir de domination en chevauchant, toute nue, celui qui avait le malheur de la rencontrer la nuit. Mpamosavy ricana après l’avoir écouté attentivement et lui tendit une boîte : « Prends ceci, il va te servir dorénavant. Il renferme de la poudre qu’on appelle mensonge. Porte-le toujours sur toi et on ne te soupçonnera même pas de commettre quelque méfait. »
Un jour, Rekapila rencontra une femme de laquelle il s’éprit immédiatement. Lui déclarant sa flamme, il s’entendit répondre : « Arrête de te mentir à toi-même ! »
Pris de panique, il retourna voir Mpamosavy qui n’eut plus envie de ricaner en écoutant son récit.
- Elle a deviné ce que je porte dans ma boîte, elle l’a nommé sans l’avoir jamais vu !
- Ne t’inquiète pas, elle ne peut rien faire contre toi tant que tu ne la laisses pas voir la boîte. D’ailleurs, tu n’as pas à retourner la voir !
- Je n’en suis pas sûr. Elle me fascine, elle a quelque chose que je n’ai jamais perçu chez aucune autre.
Rekapila retourna à ses trous, et ne put s’empêcher de se rendre chez sa dernière découverte qui lui fit bon accueil.
- Tu es ma lune, déclara-t-il à la femme avec ferveur. Tu es sans pareille.
- Mon cher Rekapila, le mensonge mal enterré remonte à la surface et éclabousse le menteur.
Repoussé, Rekapila s’enflammait, ne pensait plus qu’à elle pendant qu’il courait d’un trou à l’autre. Un matin, il mandata quelqu’un pour se rendre chez la femme, porteur de sa canne. La femme comprit ainsi que Rekapila avait décidé de passer la nuit avec elle et se prépara. Quand celui-ci arriva, elle lui lança avant qu’il ne franchît le seuil :
- Eh, homme ! débarrasse-toi d’abord de tes habits dehors. Quand ce sera fait, tu peux entrer. Sinon, retourne d’où tu viens, et je te ferai rapporter ta canne demain sans faute.
Rekapila resta un moment perplexe, et le désir prenant le dessus, s’exécuta. Sa petite boîte resta dehors avec ses habits.
- Maintenant, viens que je te lave et t’habille.
Etonné et ravi de ces petits soins, Rekapila se laissa faire.
- Écoute-moi bien, homme, si tu décides de me fréquenter, tu dois respecter mon tabou !
- Je ferai tout ce que tu veux, ma lune !
- C’est quelque chose de très simple, mon tabou, c’est le mensonge.
Si j’y trempe les lèvres, je meurs sur le coup ; si j’y touche, je dépéris.
Rekapila jura sur ses ancêtres qu’il ne lui ferait jamais bouffer de mensonge.
Le lendemain, sa décision était prise. Il récupéra la petite boîte, se rendit dans la forêt et la jeta dans un fourré obscur. Se sentant léger, il reprit la route le conduisant au village. Il ne marcha pas longtemps quand il entendit une voix perçante chanter : « Oh, Rekapila ! oh, Rekapila ! je suis le mensonge, je suis ton ami, ne m’abandonne pas ! »
Affolé, Rekapila prit ses jambes à son cou. Des bruits l’accompagnaient et la voix perçante, une voix de mpamosavy, ne cessait de chanter le même refrain. Se retournant, Rekapila vit la boîte qui courait après lui. Il ramassa une pierre qu’il lui jeta. Touchée, la boîte s’ouvrit, laissa se répandre son contenu qui aussitôt se rassembla et retourna dans la boîte, qui reprit la poursuite. Hors d’haleine, Rekapila fut forcé de ralentir sa course. La boîte le rattrapa et réintégra le nœud de son pagne où l’homme avait l’habitude de la garder. Ainsi chargé, Rekapila retourna chez la femme.
- Mais où étais-tu donc passé ?
- Je suis allé voir mes parents, ma lune, afin de préparer notre mariage.
Dans la journée, Rekapila visita quelques trous et rentra repu de plaisirs. Le lendemain de bon matin, il se rendit au bord de la rivière et lança la boîte vers l’endroit le plus sombre de l’eau. Satisfait, il s’en retourna gaillardement. Il n’était pas hors d’atteinte qu’il entendit la chanson de la veille. Son sang ne fit qu’un tour. Il se résolut d’attendre que la boîte le rejoignît et reprit le chemin du village.
- Mais où étais-tu donc passé ?
- Je suis allé voir mes frères, ma lune, afin de préparer notre mariage.
Et comme à son habitude, Rekapila alla visiter quelques trous et rentra repu de plaisirs. Le lendemain, il alla sur la montagne. Quand il en eut escaladé une bonne partie, il fit un trou et enterra la boîte. Ensuite, il posa une pierre dessus, et redescendit la pente. Il atteignit le bas et crut réussir quand il entendit de nouveau la chanson. Il n’eut même pas le temps de se retourner que la boîte atterrit sur sa tête, s’ouvrit et laissa échapper la poudre qui se répandit sur ses cheveux et sur son visage. La poudre se rassembla toute seule, réintégra la boîte qui reprit sa place dans le nœud du pagne. Homme et boîte reprirent le chemin du village.
- Mais où étais-tu donc passé ?
- Je suis allé voir mes sœurs, ma lune, afin de préparer notre mariage.
Et comme à l’accoutumée, Rekapila alla visiter quelques trous et rentra repu de plaisirs. Le lendemain, il retourna chez Mpamosavy qui ricana à sa vue.
- Entre donc, mon bien-aimé, je t’attendais. Ma case est un trou comme un autre. Viens d’abord passer du bon temps sur ma natte, tu ne le regretteras pas. Tu auras gagné sur ta tournée du jour.
Sans se faire prier, Rekapila prit son plaisir.
- Maintenant, raconte-moi ce qui t’amène !
- Je viens te rendre la boîte, je n’en ai plus besoin.
- Tu ne crois pas si bien dire. Tu n’en as plus besoin, car le mensonge est en toi.
Ricanante, Mpamosavy reprit la boîte des mains de Rekapila.
- Tu t’en dessaisis car tu as peur de cette femme.
Ce n’est pas bien grave, mais laisse-moi t’offrir un cadeau.
Mpamosavy se rend dans la pièce où elle conserve précieusement ses avoirs ténébreux, saisit une boîte de laquelle elle extrait une bague. Elle la démonte, verse la poudre mensonge dans un orifice, la remonte et la donne à Rekapila. Ébloui par l’illusion d’une femme ravissante et désirable qui ne s’est pas contentée de l’accueillir sur sa natte mais en plus lui a donné un cadeau, Rekapila retourna chez la femme.
- Mais où étais-tu donc passé ?
- Je suis allé voir l’orfèvre, ma lune, afin de préparer notre mariage.
Rekapila passa la bague au doigt de la femme. Celle-ci fut prise de frisson et perdit connaissance. La mort l’emporta avant le déclin du jour. Rekapila s’accrocha à son corps inerte, implorant, pleurant toutes les larmes de son corps, des larmes pâteuses car évacuant le mensonge du dedans de son corps. Il réalisa la grandeur de l’amour qu’il lui portait. Rekapila n’enleva pas la bague du doigt de la défunte, comprenant, mais trop tard, qu’elle contenait le mensonge. Il fit un trou profond qui avait sept fois la taille d’un homme couché et y déposa la femme. Puis, devant le trou béant, il ne résista pas et y plongea à son tour. Sous le choc provoqué par sa chute, la bague de la défunte s’ouvrit et laissa échapper son contenu aussitôt avalé par la terre. L’homme, n’y prêtant pas attention, étreignit le corps froid. Peu à peu, il sentit celui-ci se réchauffer et, l’observant avec ahurissement, vit les yeux s’ouvrir. Il crut toucher le ciel…
Un conte est un conte, ce n’est pas moi qui mens, ce sont les anciens.
Par Sylvia Mara
(article publié dans no comment magazine n°46 - Novembre 2012 ©no comment éditions)
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