Conte: La femme gourmande.

Publié le par Alain GYRE

 

La femme gourmande (1)

(Betsimisaraka)

 

Un homme avait épousé une femme très gourmande dont il eut beaucoup d'enfants.

Un jour qu'un mort se trouvait dans le village, sa femme lui dit :

« Va-t-en à la maison mortuaire. » (La femme pensait que son mari lui rapporterait de la viande du festin des morts; le mort en lui-même ne l'intéressait pas.)

« J'y vais, répondit le mari; mais j'ai à travailler un peu auparavant. »

Et il prit sa bêche et partit pour la rizière.

Arrivé là, comme il avait apporté deux lambas, il enveloppa dans l'un d'eux sa bêche, et la planta au milieu du champ de riz, en guise de mannequin représentant un homme occupé à travailler.

Il s'en alla ensuite à la maison du mort.

La femme voyant de chez elle la bêche entourée du lamba s'écria :

« Ah !le sot, qui est encore là au lieu d'aller chercher de la viande chez le mort! »

Elle regardait souvent pour voir si l'homme était parti, mais elle le revoyait toujours à la même place.

Elle insultait son mari, ne sachant pas qu'il était déjà à la maison mortuaire.

Lorsque le soir fut arrivé, tout le monde revenait de la maison du mort.

Elle se mit en colère pensant à son mari qui ne lui rapporterait pas de viande.

Celui-ci pria un de ses amis de dire à sa femme :

« Réunissons ensemble nos parts de viande, à trois ou quatre. Si ma femme demande : Combien y en a-t-il qui en ont eu? Répondez-lui : Chacun a eu sa part. »

La commission fut exactement faite; et la femme entra en fureur en apprenant cela, supposant que son mari, resté à la rizière, n'avait rien eu.

Elle quitta le toit conjugal en emmenant tous ses enfants.

Le soir, le mari arrive apportant de la viande du repas des funérailles.

Il envoya emprunter une grande marmite en fer, à son beau-père chez lequel était retournée sa femme.

Pour montrer qu'il avait eu sa part, il fit dire :

« Prêtez-moi une grande marmite en fer pour faire cuire la viande qu'on m'a donnée. »

 Le beau-père prêta la marmite.

La femme gourmande fut étonnée en entendant ces paroles et se dressa immédiatement en faisant le mouvement d'aller retrouver son mari.

Au même instant, ce dernier renvoyait la marmite parce qu'elle était trop petite :

« Prêtez-moi une marmite plus grande, fit-il dire à son beau-père; celle-ci est insuffisante pour la quantité que j'ai à faire cuire. »

Le beau-père en prêta une seconde.

La femme demanda à l'enfant qui venait chercher la deuxième marmite :

« Est-ce que ton père a apporté beaucoup de viande? »

« Oui, répondit-il. »

Comme la femme désirait beaucoup retourner auprès de son mari pour en manger, elle pinça son dernier né, qu'elle tenait au bras, pour le faire pleurer; et prit prétexte des pleurs de l'enfant qui, prétendait-elle voulait voir son père, pour retourner au domicile conjugal qu'elle avait abandonné brusquement.

Elle dit à ses parents :

« Mon enfant pleure de ne pas voir son père, je vais le lui porter pour arrêter ses larmes. »

En arrivant, elle dit à son mari :

« Père, ton enfant pleure, prends-le. »

Et voyant alors la viande que l'homme avait apportée, elle ajouta que son retour était motivé par les pleurs de son enfant :

« Femme, répondit l'homme qui découpait la viande à petits morceaux, tu es trop gourmande; notre union ne peut plus durer : nous allons divorcer.

La bêche que j'ai entourée de mon lamba et mise au milieu de la rizière, était destinée à te faire croire que je restais à travailler au lieu d'aller au repas des funérailles; et tu m'as insulté toute la journée pour cela.

Tu es trop gourmande, je te le répète.

Tu n'es retournée que parce que tu m'as vu demander à emprunter une marmite en fer.

Notre mariage est maintenant rompu.

Ce n'est pas moi que tu aimes, mais la nourriture que je te donne. »

 

En entendant cela, la femme honteuse retourna chez ses parents.



(1) Le texte de ce conte m'a été dicté par un Betsimisaraka.

 

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Recueillis, traduits et annotés par

Gabriel FERRAND

Editeur : E. Leroux (Paris) 1893

 

 

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