Conte: La jeune fille orgueilleuse.

LA JEUNE FILLE ORGUEILLEUSE (1).
(Imerina)
Il y avait, dans un village, une fille merveilleusement belle que tous les riches et les jeunes gens désiraient pour épouse.
Mais son orgueil lui faisait repousser toutes les demandes.
Un jour, un jeune homme pauvre, qui était paysan très loin de là, apprenant l'orgueil de cette femme et les recherches dont elle était l'objet, vint trouver les riches de ce village et leur dit :
« Je vous affirme que je l'épouserai cette fille si belle et que je vous l'enlèverai. »
Les gens furent étonnés de cette déclaration :
« Si ce que tu dis se réalise, répondirent-ils, nous te donnerons cinquante piastres (2) comptant. »
« C'est entendu, reprit le paysan. »Il alla trouver un homme riche de son village qui habitait près de sa case, et lui dit :
« Maître, je désire louer votre propriété, si vous le voulez, et le plus tôt possible. »
« J'accepte, répondit le propriétaire. »
Et le paysan lui raconta dans quel but il prenait son terrain en location.
Cette propriété renfermait sept silos pleins de riz de toute espèce : du gros grain, du riz rojo (3), du petit riz, du riz barbu, etc.
Il y avait également beaucoup d'esclaves du maître.
Le jeune homme, un jour revêtit de beaux habits pour aller rendre visite à la jeune fille.
Il avait un costume superbe.
Arrivé dans le village où elle habitait, il se dirigea vers sa case et entra.
Vers le soir, un esclave qui accompagnait le paysan lui dit :
« Maître, je n'ai rien à manger, donne-moi de l'argent pour m'acheter quelque chose. » Il prit une piastre et la lui jeta dans la pièce voisine où se trouvaient les serviteurs :
« Prends, dit-il. »
La maîtresse de la case était étonnée de voir donner une piastre, comme on donne un sou (4), à tous les esclaves qui demandaient de quoi pouvoir acheter à manger.
Chaque esclave allait dire à la jeune fille :
« Cet étranger (5) est vraiment étonnant! Quand un esclave lui demande de quoi acheter à manger, il lui donne une piastre. »
Le lendemain, le jeune homme fit appeler les femmes esclaves de la jeune fille et leur dit :
« Si votre maîtresse devient ma femme, je vous donnerai dix piastres (6). »
Les esclaves pressèrent la jeune fille d'accepter la main de cet étranger qui serait pour leur maîtresse, (elles en étaient sûres) et pour elles-mêmes, une source de prospérité.
« Mais, dit la maîtresse, savez-vous s'il est riche? »
« Très riche, répondirent les esclaves. Il possède beaucoup d'argent, de rizières, de propriétés et de nombreux esclaves. »
Quand elle eut ces renseignements qui lui venaient de bonne source, la belle fille en fut très heureuse.
Elle consentit à aller voir le jeune homme chez lui, dans la propriété qu'il avait louée.
Elle et ses esclaves furent émerveillées ;en voyant ses champs et ses rizières.
Tout ce qu'elle, pouvait désirer avait été préparé d'avance et se trouvait à sa disposition.
Au moment où ses esclaves devaient piler le riz pour le décortiquer, ils dirent au jeune homme :
« Quelle espèce de riz faut-il piler, maître ? dans quel silo faut-il le prendre? du riz à gros grain, ou du riz rojo? »
« Pilez le meilleur, répondit-il. »
La jeune fille était de plus en plus étonnée.
Au bout d'une semaine, le jeune homme lui dit :
« Mademoiselle, je cherche à devenir votre mari. Que pensez-vous de cela? si vous acceptez, nous irons devant votre père et votre mère, et je vous demanderai en mariage. Je vous donnerai l'arrière-train du mouton , et nous serons mariés. »
La jeune fille accepta.
Ils allèrent ensemble chez les parents de la jeune fille pour donner l'arrière-train du, mouton.
Les parents consentirent volontiers à cette union qui devait rendre leur enfant heureuse.
L'arrière-train du mouton offert, on célébra le mariage conformément aux us et coutumes du pays.
Le jeune homme alla ensuite réclamer aux riches du village la somme qu'ils lui avaient promise en cas de réussite auprès de leur belle compatriote.
Ceux-ci s'empressèrent de verser les cinquante piastres promises.
Le paysan alla ensuite retrouver sa femme :
« Retournons chez nous, lui dit-il; il y a longtemps déjà que nous sommes chez tes parents. »
Et ils partirent. (D'autre part, le riche propriétaire des terres louées au paysan était aussi retourné chez lui).
Chemin faisant le mari fit part à sa femme du subterfuge qu’il avait employé, pour, l'épouser :
« Ce n'est pas notre maison celle dans laquelle tu as habité. »
« Où est-elle donc? demanda la femme étonnée. »
« Tu le verras quand nous y serons. »
L'étonnement de la femme redoubla en voyant une petite cabane en mottes de terre, sans aucune natte ni ustensiles de cuisine à l'intérieur.
Ils arrivèrent vers le soir, et l'homme dit à sa compagne :
« Va chercher de l'eau et du bois à feu pour faire cuire notre nourriture. »
La femme tombait de surprises en surprises ; mais hélas ! elle était mariée.
Elle se lamentait et se mit à pleurer.
Les larmes ruisselaient sur son visage :
« Pourquoi m'as-tu ainsi trompée, dit-elle à son mari? Je suis malheureuse maintenant!»
Elle supplia le paysan défaire prononcer le divorce; mais il refusa.
Elle partit chez ses parents, et leur raconta la supercherie dont elle était victime.
Sa mère en fut très chagrine.
On fit demander encore au mari s'il voulait divorcer.
Il refusa de nouveau, mais il consentit cependant à divorcer à condition qu'on lui donnât beaucoup d'argent et d'autres choses.
Les parents de la fille acceptèrent ce marché ; et notre paysan devint riche de pauvre qu'il était.
La jeune fille autrefois si orgueilleuse auprès des riches fut ainsi trompée par un pauvre diable.
Cette histoire a donné naissance au proverbe suivant :
Celle qui est orgueilleuse envers ses semblables sera punie de son orgueil.
(1) Ce conte est originaire de l'Imerina, J'en dois le texte à un Hova do Tananarive,
(2) Deux cent cinquante francs.
(3) Espèce de riz à gros grains.
4) En Malgache, varifitoventy (sept grains de riz), c'est-à-dire un morceau d'argent du poids de sept grains de riz,
(5) Le mot vahiny s'applique indistinctement aux Européens et aux Malgaches. Il indique que la personne en question n'habite pas ordinairement ou habite depuis peu l'endroit où elle se trouve. Les étrangers proprement dits, c'est-à-dire toutes les personnes de nationalité non-malgache sont qualifiées de vazaha. On les appelle aussi garamaso (les yeux clairs). Cette expression n'est guère employée que sur la côte occidentale de Madagascar,
(6) Cinquante francs
Contes populaires malgaches
Recueillis, traduits et annotés par
Gabriel FERRAND
Editeur : E. Leroux (Paris) 1893