Conte: Le chat et le rat

Le Chat et le Rat
Aux temps lointains où chats et rats étaient amis,
Pour traverser une rivière
Où grouillaient à foison de gros caïmans gris,
Rapiche et Voualave, un beau rat de rizière,
Gravement conféraient.
De construire une régate
Ils rêvaient.
« Je gage, dit le chat, qu’avec une patate
Énorme, en t’aidant
De tes dents
Acérées,
Coupantes comme un canif,
Tu creuserais bien vite un confortable esquif
Qui, sur la rive désirée,
Nous déposerait sans danger.
Je t’admire, Rapiche,
Répond Ronge-paddy. Je n’aurais pas songé
Qu’un tubercule, un jour, pût faire une péniche. »
Une grosse patate à quelques pas gisait :
Voualave aussitôt se met à creuser.
Quelques instants après, dans la pirogue prête,
Ils s’asseyent tous deux très confortablement.
Cette entreprise est une fête
Qui les amuse follement.
Le chat prend la pagaie et sillonne la route.
Ils avancent, joyeux, quand au courant s’ajoute
Un vent si fort qu’il les empêche d’aborder.
Voualave, gourmand, navré d’être attardé,
Trouve que la faim le harcèle
Et se dit :
« Le fond de la nacelle,
Épais encore, pourrait calmer mon appétit.
Rapiche tient la barre,
Il ne pourra pas s’opposer
Au repas que je vais oser. »
Ce pensant, notre ignare
Ronge,
Et bientôt, le bateau percé
Plonge,
Immergeant les deux insensés.
Au prix de durs efforts, le chat gagne la rive.
Le rat, parfait nageur,
Bien avant lui, l’y attendait, moqueur.
Rapiche, furieux, par ces mots l’invective :
« Sois maudit, vil rongeur qui faillis me noyer ;
Tes descendants et toi, vous serez châtiés
Sans merci par les miens. » Puis sa griffe exercée,
Vengeresse, saisit le persifleur honni
Dont il ne fait qu’une bouchée.
Les gourmands sont toujours punis.
Depuis ce jour, néfaste à la gent grignoteuse,
Piche poursuit Raton d’une fureur haineuse,
Et, même si les temps ne leur sont pas ingrats,
Les chats mangent les rats
Contes malgaches
Autour du dzire
Texte de J. Landeroin
Librairie Delagrave 1925