Conte: Le plus âgé des trois n'est pas celui qu'on pense

Publié le par Alain GYRE

 

Le plus âgé des trois n’est pas celui qu’on pense.

 

            Trois hommes, Ikotolahy, Imbahitra et Iampanonga se disputaient un jour pour savoir lequel d’entre eux était le plus âgé. Comme leur naissance n’avait pas été enregistrée et que le témoignage des vieillards n’était pas concordant, il leur fallut trouver un mode d’estimation acceptable. Ils décidèrent d’aller construire une pirogue dans une forêt de la Côte-Est.

            Nous savons tous comment on fabrique une pirogue. Quand les trois hommes eurent fait un creux assez profond, il tomba une pluie abondante qui remplit l’entaille. Curiosité jusque-là inexplicable, dix anguilles se mirent à nager dans l’eau retenue, dont l’une pondit des œufs. Le Malgache qui capture les anguilles n’a qu’une idée ; les cuire et les manger. Nos trois hommes y trouvaient bonne aubaine. Ils mangèrent les dix anguilles, puis ils continuèrent leur travail. Comme ils devaient finir vite, il leur fallait veiller. Il fut donc convenu que celui qui sommeillerait le premier serait jugé le plus jeune. Bientôt Iampanonga somnola ; ses deux compagnons le saisirent par l’épaule et lui demandèrent : « O Iampanonga, il paraît que tu dors déjà ? » Iampanonga subitement réveillé répondit par la négative et affirma qu’il était seulement plongé dans une profonde réflexion. Il pensait, dit-il, au petit ruisseau qui roulait à côté d’eux, qui était fort maigre, qui devenait un grand fleuve navigable un peu plus en aval. Il étudiait donc les forces invisibles qui concouraient à l’augmentation rapide du volume d’eau. Les deux compagnons furent convaincus par de tels arguments, et le travail continua.

            Imbahitra somnola à son tour.

-          Vous dormez ? interrogea Iampanonga.

-          Non ! Jamais ! répondit Imbahitra subitement réveillé par la voix forte de son voisin.

Non, non jamais ! Je pensais à une chose qui m’a toujours paru inexplicable. Mon souci concerne le nom de fils de poule que nous donnons aux poussins. Normalement ce nom devait revenir aux œufs qui naissent directement des poules, et les poussins qui sont de seconde lignée ne devraient être que les petits fils. J’étais en train d’en rechercher l’explication quand vous m’avez interpelé, déclara-t-il, à son compagnon.

            Ils passèrent ainsi cinq bons mois à construire leur pirogue. Cinq mois qui n’avaient rien apporté de nouveau dans l’estimation de leur âge respectif ! Il rentrèrent donc à leur village , laissant la pirogue dans la forêt. Ils avaient pensé qu’un séjour prolongé dans les grands bois de la Côte-Est pouvait procurer une vision particulière sur la vie des hommes et sur l’origine du monde.

            Arrivés dans le village, nos trois concurrents entrèrent dans une maison. Ikotolahy s’assit sur une chaise, Iampanonga sur un canapé. Quant à Imbahitra, il s’assit par terre en s’appuyant contre le mur. Les causeries devaient durer tard dans la nuit, jusqu’au moment où on aurait reconnu le plus jeune par le degré de sa résistance au sommeil.  Imbahitra somnola le premier ; comme il était appuyé contre le mur et qu’il ne ronflait pas, personne ne  put observer son comportement, d’autant  plus qu’il n’était pas bavard. Ikotolahy tomba ientôt de sa chaise et fut déclaré avoir sommeillé le premier. Iampanonga, qui était bien assis sur son canapé, baissa la tête et fut repéré par son voisin. Ce fut donc Imbahitra qui triompha, qui reconnu comme le plus âgé. Il put jouir de tous les droits attachés à l’âge : manger les croupions de poulet ; parler au nom du groupe ; marcher devant les autres et, surtout, se faire porter les bagages en cours des voyages.

Que tirer de cette légende ? rien, sinon que ces trois hommes manquaient d’intelligence.

Que n’avaient-ils pris du café.

 

 

Contes et légendes de Madagascar

RABEARISON

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