Conte: Le Rat et le Sanglier

« Ohé ! Ho ! mon ami ! Vite, sors de ta cave,
Criait un soir à Voualave
Lambe, le Sanglier.
C’est fou de se terrer ainsi des jours entiers !
Pendant que l’Homme dort, viens voir nos bananiers.
Viens, viens. Et sans nous éloigner de nos pénates,
Nous pourrons, j’en suis sûr, rapporter des patates.
On va nous attraper si tu grognes si haut !
Lui répondit le Rat. D’ailleurs… Hé ? fait-il beau ?
Sans ambages,
Reprit l’autre, l’herbage
Ce soir, est laid
Comme, d’un rat mouillé, le risible pelage !
Mais pour aller
Renouveler
Notre provision de fruits et de légumes,
Que diable ! nous pouvons tenir notre costume. »
Le Rat, vexé par ce discours, ne souffla mot,
Mais il pensa : « Ce lourd pourceau
Sûrement est moins gros que sot !
Laissons faire la Providence !
On ne paie jamais trop cher une insolence. »
Il suivit le rieur sans se faire prier
Et, vers un champ bordé de souples bananiers,
Nos deux compères
Se dirigèrent
Sans incident.
Là, Voualave aux fines dents
S’aidant
D’une frêle liane
Grimpa sur le plus beau régime de bananes.
« Hon ! hon ! mon cher ami, ces fruits sont-ils bien mûrs ?
Interrogea Ralambe. – Ils sont rêches et durs
Comme d’un sanglier les défenses grotesques, »
Lance à son tour le Rat
Au sauvage verrat.
Celui-ci, très blessé par cette insulte et presque
Démonté, se reprit : « Tu ne descendras pas,
Malheureux, sans payer cet affront. A tes pas
Maintenant je m’attache. Il faut que je me venge
Et que d’un seul coup je te mange. »
Voualave, malin, sur la queue en vrillon
Saute, s’agriffe ; mord ; par cent précautions,
Evite avec bonheur la gueule meurtrière,
D’un dernier coup de dents jette la queue à terre
Et s’enfuit dans un trou que des cailloux tranchants
Dissimulaient au bord du champ.
Ralambe, mutilé, ne contient plus sa rage :
Entre les pierres son long nez, avec courage
Fouille, mais les cailloux sont traîtres et bientôt,
Le nez coupé, sanglant, notre cochon penaud,
Raccourci des deux bouts, abandonna la lutte,
Se promettant bien in petto
De ne plus provoquer d’aussi sottes disputes.
Les sangliers, depuis cela,
Ont courte queue et groin plat.
Contes malgaches
Autour du dzire
Texte de J. Landeroin
Librairie Delagrave 1925