Conte: Le remède contre la mort

Le remède contre la mort
La misère, la fièvre et la lèpre hideuse
Chaque jour décimant les races paresseuses
De la Grande-Ile, ils étaient venus là,
Sur cette côte tiède,
Par centaines, pitoyables, très las,
Avec le fol espoir de trouver un remède
Contre la mort !
Un devin les devait éclairer sur leur sort.
Dès qu’il eut consulté ses chères amulettes,
Sur la mer où volaient de rapides mouettes
Fixant son mystique regard,
L’oumbiasse dit : »Ne tremblez plus, femmes, vieillards
Et jeunes gens. Ce soir, avant le crépuscule,
Une légère libellule,
Venant de l’autre bord de l’immense Océan
Vers nous s’avancera, porteuse sûrement
Du Principe-de-Vie.
Tous vos morts renaîtront et nulle maladie
Ne pourra désormais inspirer de terreur
A vos cœurs.
Courbez-vous, mes amis, et louez Zanahary
De l’ère de bonheur que sa main vous prépare.
Ainsi parla l’oumbiasse. Il fut très applaudi.
Bientôt, comme il l’avait prédit,
On vit, à l’horizon, sortir d’une nuée
La belle libellule aux ailes diaprées.
La foule l’acclamait par de stridents accords
Quand, en volant trop bas, à quelques pas du bord
L’insecte, par malheur, toucha l’eau de sa queue
Et fit choir le Tonique au fond de la mer bleue…
D’un même élan pour attraper
Cette panacée, éclopés
Galeux, jeunes et vieux malades
Dans un affreuse bousculade
Entrèrent tous dans l’Océan.
Vain espoir !… tentative vaine !...
L’onde garda le talisman.
Alors, lassés par trop d’épreuves inhumaines,
Ces malheureux, courbés par la déception,
A pas lents, un à un, revinrent vers la plage.
Mais… quelle ne fut pas leur stupéfaction
Quand ils virent que leurs visages
Et leurs corps miséreux,
Tout à l’heure crasseux,
Lavés, débarrassés de toutes leurs souillures,
Ne portaient presque plus de traces d’écorchures !...
Ils comprirent que Dieu leur venait d’enseigner
Qu’on ne peut que gagner
A souvent se baigner.
Le lendemain matin, hantés par leur chimère,
Quelques uns, pour ravir le Baume-salutaire
A son humide et froid berceau,
Employèrent, dès l’aube, un procédé nouveau :
De fibres de raphia, l’oumbiasse avait fait faire
Un solide filet qu’ils tendirent dans l’eau.
L’ardent soleil tombait droit sur les têtes noires
Quand on sortit l’engin du flot nauséadonb.
Cette fois, la fortune adoucit les déboires :
Dans le grand filet d’or sautaient mille poissons.
Le remède était introuvable,
Mais une mine inépuisable
De dorades et d’espadons
D’un coup se trouvait découverte.
Aussi, depuis, près des côtes jadis désertes
Des hommes vont pêcher.
Grâce à eux, nous trouvons des poissons au marché.
L’oumbiasse, en somme, avait dit vrai :
La libellule était venue,
Portant le remède sacré.
Les malades, d’abord navrés
D’une brusque déconvenue,
Vite comprirent l’étendue
De l’heureux résultat de ce dernier essai.
L’autorité du Maître en fut beaucoup accrue.
Quand il eut de nouveau consulté ses gris-gris
Et disposé sur son tableau les grains de riz
Le mpsikide, reprit :
« je vois…
Pourquoi
Vos recherches sont vaines…
Comme un sournois,
En tapinois,
Le Prince-de-vie a fui nos tristes plaines !...
Rakoute, Faralah,
Construisez une barque et poussez au-delà
De la ligne
Que souligne
La haute mer sous le ciel bleu.
Ce ne sera pour vous qu’un jeu
De suivre le sillage
Du fanafoude vertueux.
Saisissez-vous de lui. Vos frères anxieux
Et moi, sur cette plage
Nous allons vous attendre. Apportez-le moi. Alors
Je ressusciterai vos morts. »
Quand le bateau fut prêt, les deux hommes partirent.
Vers la chute du jour, le Génie-éternel
Splendide se montra. Prudemment, ils le prirent,
Puis ils mirent le cap sur leurs champs paternels.
Soudain, Rakoute dit : « veux-tu qu’à Touamasse
Nous allions aborder ?
Le remède y sera plus qu’ailleurs efficace :
Touamasse veut dire « infaillibilité ».
- Mais… répond Faralah, c’est près de notre oumbiasse
Que l’Elément-vital devait être apporté ? »
Du débat, violent, naquit une dispute.
Au plus fort de la lutte,
Koute fit chavirer le modeste bateau
Et Baume et nautoniers disparurent dans l’eau.
C’est parce qu’en son sein se meut la panacée
Que la mer, depuis lors, est toujours agitée.
Le merveilleux médicament
A ses flots a donné l’éternel mouvement.
Contes malgaches
Autour du dzire
Texte de J. Landeroin
Librairie Delagrave 1925