Conte: Le Sanglier et le Caïman

Publié le par Alain GYRE

 

Le  sanglier et le Caïman

 

Alors qu’il maraudait, un soir, par habitude,

Dans ses champs de manioc, et que la certitude

D’un plantureux repas le remplissait de joie,

Lambe le sanglier vit, guettant une proie

(Mal caché par les roseaux

D’un fleuve aux perfides eaux),

Voay, le gros caïman, terreur du voisinage,

Que la faim, en ces parages

Fortunés

Retenait.

Voay est plein de traîtrise :

Il aime, par surprise,

Occire ceux qui sont trop près de lui venus ;

Cette fois, il le sent, Lambe l’a reconnu,

Puisqu’il s’est arrêté près d’une termitière.

Le pauvre crocodile entre donc en matière :

« Salut, beau sanglier,

Parure de hallier !

Salut à toi, dont la bravoure

Alarme Celui-qui-laboure !

C’est bien toi qu’on nomme, au hameau,

Coupe-lianes-sans-couteau ?

C’est bien toi, Effroi-des nuits fraîches?

Arrache-patates-sans-bêche ? »

Le sanglier, flatté de tant d’attention,

Répond : « je suis aussi Roi-de-destruction!

J’arrache, par plaisir, tout ce que plante l’homme,

Mais – vous-qui-me-parlez – n’est pas vous qu’il nomme

L’eau-ne-gonfle-pas ?

Ou bien : Mange-entre-les-repas ?

-           Je suis encore, dit Voay, Celui-que-l’on-redoute,

Et si dans ton esprit subsiste quelque doute… »

Il ne peut achever : d’un grand coup de boutoir,

Ralambe, sur le front, vient de lui faire choir

Un tertre de gazon. Cruelle facétie!

Voay, étourdi d’abord, croit mourir d’asphyxie!

Tel affront se relève. Aussi, Prince-des-eaux

Fait pleuvoir un torrent sur le nez du pourceau.

Lambe tient à sa renommée ;

L’autre, bête affamée,

Convoité un copieux repas :

L’un vers l’autre ils font quelques pas

Et la lutte commence.

Leur existence

En est l’enjeu.

Coupe-liane est merveilleux :

Comme s’ils s’amusait, il esquisse une ronde

Tout autour de la bête immonde,

Et voyant le flan découvert,

D’un formidable coup de défense, à revers,

L’ouvre de la queue à la tête.

Mange-bêtes

Hurle de douleur ;

Mais, comme l’imprudent ronfleur

A le museau tout près de sa gueule béante,

Écumant, il lui plante

Ses dents dedans les yeux, le crâne et le groin.

 

Ils expiraient tous deux le lendemain matin.

Et depuis, on ignore encore, dans la Grande-Ile,

Lequel est le plus fort, Lambe ou le Crocodile.

 

 

 

Contes malgaches

Autour du dzire

Texte de J. Lenderoin

Librairie Delagrave 1925

 

 

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