Le tromba

Le tromba : un rituel de possession ? |
jeudi 23 février 2006
Bon nombre d'entre nous avions déjà sûrement entendu parler du « tromba », un rituel de possession où le possédé dans la plupart des cas, incarne un roi qui parle par sa bouche et conseille les vivants.
Par leur bouche, les ancêtres donnaient leur aval, en quelque sorte, pour toute décision, notamment politique ou militaire. Les manifestations du « tromba » sont toujours plus importantes en période de crise. Le « tromba » est présent surtout en pays sakalava. En effet, les séances de "tromba" où l'on invoque les ancêtres défunts se pratiquent en accord avec des chants d'appel accompagnés d'une mélodie à l'accordéon et de rythmes saccadés par les battements des mains des assistants. Ce rituel se base donc surtout sur la croyance sakalava. Et selon Robert Jaovelo-Dzao dans « Mythes, rites et transes à Madagascar », édition Karthala, 1996, 392 p., il existe dix points dans le fondement des croyances des sakalava :
1. Les Sakalava conçoivent le cosmos comme une unité qui englobe à la fois le monde visible et le monde invisible, le monde des humains et le monde des divinités. Le monde visible ne fait que reproduire sur différents plans les archétypes qui l'organisent. Sans être statique, cette réalité indivise de l'univers est pensée comme accomplie dans son essence.
2. Il est une puissance supérieure, source et principe de toute vie, créatrice de tout ce qui existe, maître de l'univers, à l'origine de l'humanité. Elle constitue une entité corporative qui remplit le cosmos dont elle est l'organisatrice, lesupport, et porte le nom générique de « Zañahary ».
3. Les Sakalava honorent les ancêtres, « razaña », qui sont promus au rang de la divinité. Ils sont également considérés comme source de vie et traités comme intercesseurs des vivants auprès de « Zañahary ».
4. Les différents « Esprits-tromba », les « tiñy », génies de l'eau et du feu, les génies de l'air et de la terre, appartiennent à la formation des puissances ouraniennes, telluriques et chtoniennes. Agonistes ou antagonistes de la puissance divine dans le monde et le cosmos, elles peuvent être, selon les cas, bénéfiques ou maléfiques.
5. Les « setoany », satans, et les « njary nintsy », mauvais esprits, les lolo raty, les lolo « vokatra » et les « boribe », fantômes, revenants et esprits errants, ainsi que les « tromba raty », quintessence de toutes les puissances du mal, forment la catégorie maléfique des esprits que manipulent constamment les « ampamoriky » sorciers, au détriment de la société.
6. Les ministres sacrés et les fonctionnaires du culte, que sont le devin « Ampisikidy » et le médium « Saha », l'astrologue « Ampanara-bintana » et le guérisseur « Moasy », le roi « Ampanjaka » et l'orant « Ampijoro », passent pour des « Zañaharin-tany », dieux sur terre, et constituent des substituts de la divinité qui vivent parmi les hommes et des médiateurs entre les mondes visible et invisible.
7. Les Sakalava pensent que les « aody », médications sacrées, remèdes, charmes et objets prophylaxiques, sont nantis de vertus efficaces capables de protéger la vie « heñy » ou « fahiñana », de préserver des malheurs et de guérir diverses maladies « aretiñy », sans oublier qu'ils peuvent aussi provoquer la mort « fahafatesana ».
8. Les « Ray-aman-dreny », parents et personnes âgées, se présentent comme l'image du couple Soleil et Lune et passent pour la source naturelle et matérielle de la vie. En édictant des normes, qui sont codifiées dans les traditions « fomba » et les interdits « fady », ils garantissent la perpétuation de la vie sociale.
9. Le « fihavanana », consanguinité, convivialité, solidarité et relations interpersonnelles, a pour objectif premier de toujours épanouir le « heny », la vie dans toutes ses dimensions, physique, psychologique et éthique au moyen du « fañahy », conscience morale et instance suprême de tout l'agir.
10. Il existe une relation dialectique et permanente dans un mouvement cyclique entre le monde des humains et celui des ancêtres et de la divinité, dont la dynamique et le passage symbolique s'opèrent par la célébration des rites que sont les « Joro » et le « Tromba », tandis que le passage ontologique se réalise au travers de la naissance et de la mort. Problématique Les études sur Madagascar consacrées au "tromba" en tant que phénomène de possession, jusqu'ici, ont mis surtout l'accent sur sa dimension sociopolitique (H. RUSSILLON, 1992 ; P. OTTINO, 1965 ; G. ALTHABE, 1969) et magico-religieuse (P. LAHADY, 1974 ; J-M. ESTRADE, 1977) ou sur les deux en même temps (R. JAOVELO-DZAO, 1994), occultant ainsi cette autre dimension de ce phénomène et dont la quête initiatique n'en est finalement qu'un aspect. Ici, le « tromba » est, entre autre, cette démarche cognitive du sujet devant ainsi le conduire à une plus grande connaissance des articulations entre le monde des vivants et celui des morts d'une part, et à une meilleure vision des correspondances réelles entre le macrocosme qu'est l'univers dans son ensemble et le microcosme qu'est le corps humain, lui conférant ainsi un statut social particulier. Et l'on ne devient finalement "possédé du tromba", c'est-à-dire "sujet connaissant" (mahay raha ; tsanganan-draha), capable d'être "monté" (tsanganany) aussi bien par les divinités du terroir aux visages multiformes et finalement sans contours particuliers (des « kalanôro » , des « kokolampo » ou encore des « vazimba ») que par les esprits d'un défunt devenu ancêtre, cette fois-ci, au visage plus découvert et plus familier (tel roi, telle princesse, tel musicien, tel vaillant guerrier ou tel marin particulier par exemple) qu'à l'issue d'une longue vie initiatique, pouvant s'étaler sur plusieurs périodes, voire sur plusieurs années. La transe est, dans cette démarche initiatique et cognitive de l'adepte au « tromba », l'une des manifestations les plus prégnantes de l'issue heureuse d'un tel cheminement personnel puisqu'il s'agit d'affirmer d'une part, sa capacité de se délester de la pesanteur de sa corporéité et de sa matérialité (en s'appuyant sur tel ou tel rythme musical ou sur tel ou tel objet particulier) et d'autre part, d'assurer son incorporation avec l'invisible et sa transcommunication avec le monde divino-ancestral. Ici, la démarche cognitive ne vise pas seulement le sujet en tant qu'intellect mais s'adresse également à ce dernier en tant que personne. L'action n'est pas uniquement de l'ordre théorétique. Il s'agit plutôt d'un véritable travail de "construction de soi" dans un mouvement ternaire qui va de la rupture (mort initiatique) à l'intégration (re-naissance initiatique) en passant par une période de marge (réclusion). Dans certaines ethnies de Madagascar, ces trois moments initiatiques qui sont finalement une véritable métamorphose de l'esprit et du corps s'inscrivent précisément sous le signe de telle ou telle partie du corps (oeil, oreille, bouche), ou de tel ou tel type d'outil (le couteau, la hache, le ciseau en même temps que le maillet par exemple). Mais quel que soit le degré d'élévation auquel est parvenu le "maître du tromba" dans cette quête du savoir et du pouvoir, il ne doit jamais s'enfermer sur soi mais il est plutôt appelé à éclairer les autres de sa luminosité divino-ancestrale. L'éducation, dans sa finalité essentielle, c'est d'amener l'individu, quelle que soit son appartenance sociale, à être le lieu de rencontre entre l'humain et le divin entre le visible et l'invisible pour devenir, chacun à son rythme et selon ses capacités, l'un des piliers fiables et toujours disponibles de l'architecture sociale. L'essentiel c'est de faire de son mieux et de se mettre en route sur les voies de la connaissance. Dans ce cheminement à la fois personnel et collectif, il est évident que tous n'atteindront jamais le même niveau de réussite. Car la différence est au coeur du social. N'est-il pas vrai d'ailleurs, selon l'adage populaire malgache, que "les arbres d'une même forêt n'atteindront jamais les mêmes hauteurs et qu'un arbre, quelle que soit sa taille, ne constituera jamais à lui tout seul une forêt" (Hazo tökaña tsy mba ala) ? N'est-il pas vrai que "ce sont les branches les plus élevées qui bénéficient le mieux des rayons du soleil et qu'il leur appartienne en contre partie de s'exposer plus que les autres aux caprices du vent" ? Le phénomène du "tromba" offre ici à travers cette quête de la connaissance une sorte de paradigme à la solidarité humaine (paradigme que l'on trouve également, sous d'autres formes peut-être, dans de nombreuses civilisations de l'Océanie, d'Afrique ou du monde amérindien). La connaissance est, pour les Malgaches, à l'image d'une source de lumière appelée naturellement à briller de toutes ses forces pour éclairer l'espace environnant. Plus cette source est puissante et lumineuse, mieux elle rayonne et mieux également elle arrive à donner aux objets leur vrai contour ainsi que les nuances éventuelles de leur couleur,nous permettant ainsi de les distinguer puis de les situer les uns par rapport aux autres. Dans une telle perspective, l'ignorance c'est l'état de quelqu'un qui se trouve dans l'incapacité provisoire ou permanente de saisir par exemple les nuances et les multiples articulations de la charpente sociale et qui éprouve donc toute les peines du monde pour s'y ajuster correctement . L'ignorance, c'est cette sorte d'opacité de notre intelligence qu'il faut combattre de toutes nos forces, précisément, parce qu'elle nous empêche de réaliser judicieusement notre humanité. Ce combat est avant tout un combat au quotidien et personnel, dans cet effort pour mieux se connaître soi-même, avant toute autre tentative pour s'aventurer à connaître les autres et pour comprendre le monde. Cette vérité élémentaire, les Malgaches l'expriment tout simplement en disant que "c'est à partir de la source que l'eau va vers l'embouchure" ou encore "c'est de l'intimité de son chez soi que la vraie parole doit rayonner au dehors pour y être fécondée"(Avy an-döhany vao mivalaña ny rano ; Avy an-draño ny jijy miböaka)... C'est donc à partir de l'intimité de son intériorité que l'on espère pouvoir vibrer aussi bien avec l'intériorité d'autrui qu'avec le monde visible et invisible. Car dans la vision du monde des Malgaches, le cosmos est comme un grand tambour sur lequel, entre l'intervalle qui va de la naissance à la mort, chacun est appelé incessamment à tambouriner en s'efforçant d'être en phase avec le rythme divino-cosmique. Or, comment tambouriner correctement si on est dans la méconnaissance de la symphonie à laquelle il faut s'ajuster ? C'est par l'éducation que l'individu arrive à se familiariser graduellement à cette symphonie divino-cosmique. Au cas où ces moyens offerts par l'éducation ne suffisent pas, d'autres adjuvants sont là pour aider l'individu à retrouver intimement sa mélodie intérieure pour essayer d'être de nouveau en vibration avec ce rythme divino cosmique. Le tromba en est ici l'un de ces adjuvants. L'avis d'un éthnologue Effectivement, le « tromba » n'existe pas que dans les pays sakalava. En effet, il y en a un peu partout dans toute l'île ou même au-delà de nos frontières. A Sainte-Marie, par exemple, le « tromba » se manifeste au cours d'un rituel spécifique et secret, avec une personne douée pour l'invocation. Le « tromba » se voit régulièrement possédé par des esprits bienfaiteurs rémanents. Véritable vecteur sacré, le « tromba » est alors capable de diriger les rites importants du village. Ces mediums sont consultés afin de communiquer avec les ancêtres. Pour incarner complètement le personnage, le médium adopte les particularités de comportements et de langage ainsi que les goûts de la personne réincarnée. De la même manière, le "tromba" revêt pendant la possession l'habit caractérisant l'ancêtre. Ainsi, l'un des « tromba » du village de Vohilava, incarnant un marin noyé par un bénitier, se couvre d'un chapeau au pompon rouge et d'une tunique marinière lorsqu'il est possédé. Ce qui fait que le « tromba » n'est donc pas essentiellement des incarnations de rois ou de divinités comme chez les Sakalava. Il en est de même pour les Malgaches qui se sont enfuis à Mayotte. Les descendants de ces derniers, devenus des Mahorais ont emmenés avec eux leur culture. Mais pour ces derniers, le « tromba » n'invoque pas non plus les rois et autres, mais plutôt leurs ancêtres. Ils se communiquent à travers ces possédés. Tout cela pour dire que le monde de l'occultisme à Madagascar est assez complexe. Certes, nous avions traité le « tromba » mais on peut dire que ce n'est qu'une infime partie du monde des surnaturels malgache. En effet, il y a encore les « ambalavelona », les « fanainga lavitra », les « sikidy » ou encore les « sampy » … mais c'est encore une toute autre histoire que nous allons suivre prochainement.
La Gazette de la grande ile du 23-02-06