Les deux Andriambahoaka

Publié le par Alain GYRE

Les deux Andriambahoaka.

 

Ils ‘s’appelaient tous deux du même nom et ils étaient frères.

            L’aîné possédait d’immenses richesses : ses bœufs ne pouvaient se compter et ses rizières s’étendaient à perte de vue.

Le cadet était moins riche car il avait réussi à compter ses bœufs et la limite de ses rizières ne dépassait pas l’horizon.

Andriambahoaka, l’aîné, était las d’être si riche et il eut envie, un jour, de dépenser tout ce qu’il possédait. C’était son affaire après tout, et personne n’aurait pu trouver à redire… même s’il avait un peu perdu la raison.

 

Donc, un jour, il appela son esclave préféré, Kotofasine. L’esclave avait un vieux lamba tout sale et tout déchiré, ce qui commença par déplaire à son maître :

-Va te laver, lui dit-il, et mets un lamba neuf. Tu en trouveras dans mon coffre.

Ensuite tu iras à la Maison-Froide et tu appelleras les morts, mais seulement ceux qui sont morts depuis deux ans. Je veux qu’ils viennent m’aider à tout dépenser et qu’ils mangent mes bœufs, puis mes esclaves et moi ensuite et toute ma famille.

 

Kotofasine, terrorisé, s’en alla cependant pour obéir aux ordres du maître. Il ne les approuvait certes pas, mais il devait s’y conformer. Telle était la coutume.

Après avoir fait sa toilette, il se dirigea vers la Maison-Froide et appela les morts :

-Eh ! Les Morts depuis-deux-ans. Eh ! Je vous appelle. C’est vous que j’appelle.

-Eh ! Les Morts depuis-deux-ans, je viens vous appeler pour que vous mangiez tous les biens de mon maître Andriambahoaka, l’aîné. Ses bœufs, ses piastres d’argent, ses esclaves et que vous le mangiez lui-même ensuite et sa famille aussi.

 

Les Morts-depuis-deux-ans répondirent :

-Retourne vite à la maison. Nos dents se sont transformées en pierre. Ne le sais-tu pas ?

-Nos yeux sont des cavités, et nos têtes ne sont que des os blancs. Ne le sais-tu pas ?

-Nous ne pouvons pas manger. Retourne à la maison et laisse-nous dormir en paix.

 

Kotofasine rapporta ces propos à son maître et celui-ci ne fut pas content.

-Puisque les Morts-depuis-deux-ans ne veulent pas se déranger, dit-il, va-t-en appeler de ma part le Fanampitolobe, le Serpent-à-sept-têtes. Il viendra sûrement, car il a sept gueules et sept estomacs à remplir.

 

Et Kotofasine, de plus en plus épouvanté, dut cependant obéir. Il alla au bord du fleuve et appela :

-Eh ! Serpent-à-sept-têtes, hé ! Fanampitolobe ! C’st toi que j’appelle. Je viens t’appeler pour que tu manges tous les biens d’Andriambahoaka. Et après, tu le mangeras lui-même et aussi ses esclaves et sa famille.

 

L’eau devint toute rouge, couleur de sang, et le grand serpent apparut à la surface :

-Retourne à la maison de ton maître et dis-lui que je mangerai tout cela sans en laisser une miette. Dis-lui de se préparer.

 

Et lorsque Kotofasine rapporta ces paroles à son maître, il en fut enchanté et commença ses  préparatifs.

 

Il fit étendre des nattes neuves sur toute la cour, et il choisit les plus belles avec les plus beaux dessins. Il fit amener ses troupeaux de bœufs, il fit appeler tous ses esclaves, il rassembla tout son argent, et dit à sa famille de se réunir près de lui.

 

Puis il attendit le Serpent-à sept-têtes et le reçu très poliment. Il le fit coucher sur ses belles nattes. Il plaça le premier troupeau près de la première gueule et ainsi de suite. Et le serpent avala les sept troupeaux. Andriambahoaka fit sept tas de piastres et les plaça de la même façon. Puis ce fut au tour des esclaves et enfin de lui-même et de sa famille.

 

-Je suis très content, dit le serpent lorsqu’il eut fini. Andriambahoaka est vraiment un brave homme. Mais je ne vois plus rien et je vais m’en aller.

 

Mais bien que ses yeux fussent au nombre de quatorze, il n’avait pas vu Kalovole, la dernière fille d’Andriambahoaka… Elle s’était cachée avec son esclave Kalobotrete, à l’ombre d’une porte, pas très loin du serpent, mais il était trop occupé à avaler pour regarder autour de lui.

 

Quand il fut parti. Kalovole dit à Kalobotrete :

-Nous voilà toutes seules… qu’allons-nous faire ? J’ai une idée, je vais aller rejoindre mon oncle, Andriambahoaka le cadet. Viens avec moi.

 

Elles se mirent en route et, après avoir traversé monts et vallées, elles arrivèrent au bord d’une rivière.

 

-Passe-moi sur ton dos, dit Kalovole, tu es la plus grande et puis tu es mon esclave.

-Je te passerai, dit Kalobotrete, car tu es ma maîtresse mais en récompense, donne moi ton lamba-lasoa.

 

Et elles passèrent, et Kalobotrete, qui était très grande, n’eut de l’eau que jusqu’à la taille. Elle portait sa maîtresse sur son dos et le lamba-lasoa sur sa tête, afin qu’il ne fût pas mouillé.

 

Une fois sur la rive, elles marchèrent encore par monts et vallées et arrivèrent devant le village où habitait l’oncle Andriambahoaka.

--Rends-moi mon lamba, dit Kalovole à Kalobotrete. Je veux le mettre afin d’être très belle pour me présenter devant mon oncle.

-Non, je le garde, répondit la grande Kalobotrete. Tu seras mon esclave. Je te tuerai si tu dis un mot.

Kalovole ne dit rien, car elle était bien plus petite.

Lorsqu’elles se présentèrent devant la case de Andriambahoaka, celui-ci les accueillit aimablement.

-Entre, dit-il à Kalobotrete qu’il prenait pour sa nièce, car elle était plus richement vêtue que Kalovole, entre, mon enfant, tu seras ma fille. Que ton esclave aille se reposer  dans la case des esclaves, et puis elle se rendra à la rizière et fera du bruit pour écarter les oiseaux.

 

Mais Kalovole, trop malheureuse pour se reposer, se rendit tout de suite à la rizière. Alors pour faire peur aux oiseaux et aussi parce qu’elle avait beaucoup de chagrin, elle se mit à chanter :

 

« Eh ! Vous les Oiseaux-de-la-Forêt, eh !

Ne mangez pas le riz d’Andriambahoaka. C’est moi qui vous le dis,

Car Andriambahoaka est mon oncle

Et moi je suis sa nièce véritable.

Il croit que mon esclave est une Andriane

Et que moi je suis une esclave

Car elle m’a pris mon lamba-lasoa.

Mais vous, les Oiseaux-de-la-Forêt,

Ne mangez pas le riz d’Andriabahoaka, car il est mon oncle ».

 

Andriambahoaka qui était venu se promener près de la rizière l’entendit chanter et il en fut fort étonné.

-Mais enfin, laquelle des deux est vraiment ma nièce ? se dit-il. Est-ce la grande ou la petite ?

-Il fit amener son Taureau-Noir et commanda à Kalobotrete de l’appeler.

Kalobotrete se tourna vers le taureau et s’adressa à lui en ces termes :

 

« Eh ! Le Noir, eh !

Arrive, arrive car c’est moi

Qui suis ta maîtresse et qui t’appelle

Eh ! Le Noir, eh !

Arrive près de moi ».

 

Mais le Taureau ne bougea pas. Ce fut au tour de Kalovole d’appeler le Taureau. Alors, il s’approcha d’elle et s’agenouilla.

-Kalovole est vraiment ma nièce, le Taureau lui a obéit, dit Andriambahohaka, et il n’obéit qu’à ceux de ma race. Entre dans ma case, Kalovole, je vais d’adopter et tu seras ma fille.

 

Puis Andriambahoaka regarda l’esclave et lui dit simplement :

-Kalobotrete, va garder la rizière.

 

Les contes de la Grande Ile

Par Jean Benjamin Randrianirina

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